Chapitre 1

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La pluie s'abattait sur la vitre depuis le début de l'après-midi. C'était une journée maussade en tout point. Mon arthrose aux jambes s'était accrue de plus belle depuis quelques temps ce qui me forçait à passer le restant de mes journées au fond de cette vieille chaise roulante. Les vestiges laissés par les rodéos ne me permettaient plus de faire avancer cette maudite chaise. Depuis cinq ans maintenant j'avais le même paysage en face de moi : un parking pratiquement vide, et une autoroute bien trop bruyante à mon goût. J'étais dans cette maison de repos depuis bien trop longtemps et je savais que j'y finirai ma vie. Je me suis retrouvé dans cet endroit bien trop propre, bien trop impersonnel du jour au lendemain. Ma chambre était une pièce d'un blanc immaculé et ces quatre murs étaient semblables à une prison dans laquelle j'étais obligé de vivre désormais. Je suis bien heureux que ma Katie ne soit plus là pour voir cela. Voir son homme bloqué dans cette chaise, dépérissant de jour en jour n'était pas une vision bien jolie. Ah ma Katie, cette femme de caractère. On en avait vécu de ces folles aventures ensemble et me voilà aujourd'hui, un vieux cowboy cloué dans ce centre qui a cette terrible odeur de désinfectant à tous les étages. Cette odeur qui d'ordinaire ferait frémir le nez de n'importe qui, mis à part les soignants qui eux devaient être habitués à l'odeur depuis le temps. C'est peut-être la raison pour laquelle l'odeur de mes santiags devait les gêner à la fin de la journée. Il est vrai que j'en avais fait des kilomètres avec ces boots pour conduire les vaches dans mes plaines d'Oregon.

Je suis née en 1947, dans une petite ville qui n'existe plus aujourd'hui mais où il faisait bon vivre car les gens se souciaient les uns des autres. Arrière petit fils et fils de cowboys, j'en suis devenu un. J'ai appris tout un tas de choses dans ce ranch, notamment le dur labeur. Mon père m'a toujours dit de faire mon mieux et j'ose espérer que c'est ce que j'ai fait tout du long de ma vie. On peut dire que je ne me suis jamais reposé sur mes acquis et c'est ce qui m'a fait devenir la personne que je suis devenue, quelqu'un de fort pour les autres. A la mort de mon père dans un tragique accident de bétail, j'ai dû prendre la tête du ranch. A seulement 23 ans, alors que mes principaux rêves étaient de faire tous les rodéos de la région avec les chevaux du ranch que j'avais à disposition : Weenashee, Jewel Jafres et Oh My Nugget. Trois chevaux en qui j'avais entièrement confiance pour la prise de bovillon. Avec eux, même un novice aurait pu remporter une boucle facilement. Ils sont morts depuis, comme tant d'autres chevaux qui ont vécu sur mes plaines. J'en avais dressé aussi, des centaines voire peut-être plus avec la méthode bien connue de Monty Roberts. Maintenant toutes ces aventures de dressage sont finies, je suis cloitré dans cette chaise pour le restant de mes jours. Vous devez sûrement vous demandez si j'ai fini dans cette chaise roulante à cause d'un accident de bétail comme mon père. Eh bien non, si j'ai fini dans cette chaise roulante c'est seulement parce qu'aujourd'hui on ne me juge plus capable de m'occuper de moi seul. Mais vous savez quoi ? Je suis content d'avoir vécu pleinement ; de toutes ces heures sur le dos d'un cheval, à traverser au grand galop les plaines d'Oregon. Je suis vieux aujourd'hui, je n'ai plus ma fougue d'antan. Je suis dans cette chaise depuis cinq ans, cinq années sans avoir pu voir de cheval de mes propres yeux. Car oui, bizarrement les chevaux ne sont pas tolérés dans l'enceinte d'un centre pour vieux cowboys comme moi. Je suis seul. Et ce ne sont pas les quelques photos de mes aventures à cheval qui vont combler ce manque de ma vie d'avant. Parfois je me sens tellement seul qu'il m'arrive de sentir les larmes couler le long de mes joues. Je parle seul en regardant mes photos. Celles de ma femme, qui m'a quitté il y a dix ans maintenant, et celles de mes chevaux et de Blackjack. Finalement je n'ai jamais été aussi seul de ma vie, et tout me manque désormais. J'ai remarqué que dans ma vie j'ai toujours été seul pendant certaines phases, mais au moins j'ai appris à grandir au travers de ces expériences. 

Lors d'un convoi de bétail, mon père et son cheval On The Rocks nous ont quitté subitement. Il suffit d'un bovillon rebelle qui botte la patte du cheval pour faire basculer le couple cavalier cheval au sol et que le troupeau les piétine. Purée la vie c'est vraiment quelque chose d'aléatoire, tout peut aller bien et du jour au lendemain on perd. On perd les gens que l'on aime le plus au monde et on pense que tout est alors terminé et c'est cela jusqu'à ce que l'on rencontre d'autres personnes que la vie met sur notre chemin. La vie avait mis sur mon chemin Katie, une jeune femme qui vivait dans la ferme voisine. C'était la plus belle créature que j'avais pu voir. Douce mais ferme, elle savait exactement ce qu'elle voulait, à savoir « botter le cul de tous ces cowboys qui n'y connaissent rien », disait elle. Elle était drôle et maniait le lasso comme personne. A prime abord, rien ne disait que nous finirions nos vies ensemble. Je me suis rendu compte que je l'aimais, le jour où elle venait de battre tous les hommes du rodéo de Hill City à la monte à cru de broncos. « Prenez ça, cowboys ! » qu'elle nous avait dit. Il avait fallu d'un seul regard pour que je tombe amoureux de cette chevelure brune, de cette jeune femme pleine de vie, amoureuse des chevaux. C'est cette jeune femme que j'ai choisi d'épouser lors d'une de nos longues chevauchés sur les plaines d'Oregon. Je pense qu'il s'agit d'une période de ma vie où j'étais suffisamment heureux pour profiter complètement de la vie. Nous vivions dans le ranch familial auprès de ma mère. Depuis que mon père nous a quitté elle n'était plus la même femme. Livide comme un fantôme sans but, errant comme une âme en peine. Elle était là sans être là. Katie lui tenait compagnie du mieux qu'elle pouvait, étant enceinte elle ne pouvait plus participer aussi activement qu'avant dans la vie du ranch. Mais ce soir-là, en rentrant des champs j'ai compris que quelque chose n'allait pas. Katie m'attendait devant le perron, d'un air grave. Je n'ai pas compris tout de suite ; peut-être parce que je ne m'attendais pas à une nouvelle de la sorte. Ma mère nous avait quitté elle aussi. Il était inconcevable pour elle de vivre sans mon père, aussi, elle s'est laissé prendre par la mort, comme une vieille amie qui l'accompagnerait dans sa prochaine vie. Katie était inconsolable cette nuit-là. Et moi ? Moi j'essayais d'être là pour elle, comme j'ai essayé d'être là pour ma mère lorsque que Tom nous a appris l'accident de mon père. J'ai essayé d'être fort pour elles. Prendre sur soi le chagrin des autres n'est pas la chose la plus simple que j'ai faite, mais c'était la seule chose que je savais faire en ces temps-là.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 10, 2023 ⏰

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