Chapitre 2

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Parfois, Sorrow se demandait si son prénom ne lui portait pas malchance et si elle n'était pas maudite depuis sa conception. Elle n'était pas une personne superstitieuse, loin de là. Mais après la perte de ses deux parents et une enfance passée dans un orphelinat à l'aspect misérable, elle n'aurait jamais cru avoir à vivre pire que ça. Cinq ans de bonheur pour ensuite revenir à la case départ.

La chute avait été brutale, c'est le moins qu'on puisse dire.

Dans l'établissement où elle avait grandi, personne ne la choisissait. Elle était trop frisée, pas assez mignonne, trop pâle et mal nourrie. Bref elle n'était pas la petite fille idéale ayant l'apparence d'une poupée.

Malheureusement, Betty -la seule à avoir vu plus loin que son apparence- était décédée, emportée par un cancer. À sa mort, Sorrow avait eu l'impression qu'on l'opérait à coeur ouvert et sans anesthésie.

Betty était partie mais en lui léguant un magasin problématique en plus de la laisser seule. Ce n'est qu'en faisant l'inventaire et les comptes qu'elle avait pris connaissance de la situation critique de la boutique. Betty lui avait caché la sombre vérité jusqu'à ce qu'elle ne rende son dernier souffle. L'avait-elle fait pour ne pas l'inquiéter? Quoi qu'il en soit, Sorrow se blâmait pour n'avoir rien vu et de n'avoir pas compris. Elle avait pourtant remarqué à plusieurs reprises la mine fatiguée de la vieille dame ainsi que les innombrables paperasses qu'elle s'empressait de ranger sous le comptoir dès qu'elle franchissait la porte du magasin. Sorrow la croyait quand elle disait avoir la mine fatiguée à cause de l'âge. Mais elle s'opposait catégoriquement à ce que sa fille abandonne ses études pour lui venir en aide.

La vieille dame aimait tant ce lieu que Sorrow avait tout laissé de côté pour tenter de le remettre sur pieds. Hélas les affaires ne marchaient pas et les créanciers tenaces menaçaient de réduire à néant tout ce pourquoi elle s'était tant battue.

Bref, c'était l'enfer.

Comme sa voisine et amie le lui répète fréquemment, dans une ville si grande et moderne comme Boston, une boutique pareille était vouée à l'échec. Plus personnes ne semblait s'intéresser aux antiquités. Ces vieilleries aussi belles soient-elles perdaient de la valeur au profit des nouveaux magasins qui offraient des articles neufs et moderne. Quant-à la jeune femme, elle ne pouvait même pas se permettre de vendre en solde en espérant attirer le plus pauvre des passants. Déjà qu'elle était endettée, ce sera suicidaire de vendre ses marchandises au rabais. Mais elle ne pouvait nier être tentée par l'idée car

il lui arrivait de terminer la semaine sans un seul client, même pas une mouche pour se poser sur son comptoir poussiéreux. La situation était affreusement critique.

Si elle avait encore été en vie, Betty lui aurait sans doute conseillé d'abandonner mais en faisant cela, Sorrow aurait eu l'impression de trahir et de déshonorer sa mémoire. Alors elle allait s'accrocher jusqu'au bout, quoi qu'il en coûte.

Soupirant de lassitude, la jeune antiquaire regarda dehors pour la énième fois, guettant le moindre client. Et cette maudite clochette accrochée à la porte ne retentissait toujours pas. Elle se mit à pester toute seule. Si ça continuait, elle allait se rendre au beau milieu de la rue et forcer les passants à venir lui acheter des produits et ce malgré le mauvais temps.

Son regard se posa sur le bar-café qui faisait face à sa boutique. L'intérieur semblait être plein de monde, comme toujours. Normal, ce lieu ne désemplissait pas contrairement au sien, va savoir pourquoi. Bien sûr elle n'était pas en concurrence avec eux mais elle mourrait de jalousie.

Sorrow : une troublante rencontreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant