Chapitre 1

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"Je vais me suicider, ce soir, à vingt heure pile. Retrouve moi au bout du pont, devant la maison bleue qui borde la mer, si tu veux que je reste en vie."

J'ai reçu cette lettre il y a huit ans, alors que le soleil se levait sur Hastings. Je ne m'attendais à rien en ouvrant mon courrier. Pourtant, ces mots allaient changer le cours de ma vie.

Huit ans plus tôt

Mes yeux s'ouvrent sur mes rideaux toujours tirés. Un carton de pizza de la veille traîne toujours sur le bureau, diffusant des odeurs de nourriture dans toute la pièce. Je regarde mon réveil et enfonce la tête dans mon coussin. Il est l'heure de se lever. Ma journée chez le fleuriste commence tôt. Je me fais violence pour pousser ma couette le plus loin possible de mes jambes encore chaudes. Comme à mon habitude, j'attrape ma robe de chambre et bondis hors de mon lit. Après une séance d'étirement des plus complètes, je saisis mon trousseau de clés et sors de chez mon oncle. L'air est frais, comme il l'est toujours lors des matinées printanières et un doux chant d'oiseau signale que toute la nature se réveille.

J'enfonce ma clé dans la serrure de la boîte aux lettres. La petite porte de celle-ci s'ouvre, me laissant entrevoir de nombreuses publicités et des factures en tous genres. Un tri rapide et tout ce qui ne m'intéresse pas finit dans la poubelle que j'ai accrochée au grillage. Simple histoire de rapidité. Pourtant, au milieu des annonces, une lettre dépasse. L'enveloppe bleue se démarque du tas de papier froissé. Par curiosité, je m'en approche et l'attrape. Il n'y a rien dessus mis à part mon prénom. Pas une écriture, pas une lettre, pas une indication de pourquoi celle-ci est là, à part mon prénom.

Je prends mon mal en patience et attends d'avoir mon café en main pour l'ouvrir. Je rentre, intriguée. Je me suis toujours fait des millions de films dans ma vie, même quand un évènement banal arrivait. C'est mon moyen de rendre les choses excitantes. Sauf qu'au bout du compte, la déception est toujours plus intense que la précédente.

Après une préparation de mon café que je juge avoir duré trop longtemps, je m'enfonce dans mon canapé, me donnant l'envie de retourner dans mon lit. Je pose ma tasse à côté de moi et hôte la partie collante de l'enveloppe. J'avais peur qu'elle soit vide mais elle ne l'est pas. Peut-être vais-je enfin avoir l'action que j'espérais, un peu de rebondissement.

Le papier que j'en sors est blanc. De petites tâches grisâtres parsèment sa surface, comme si des larmes s'étaient écrasées dessus. Je prends le temps de détailler la rondeur de l'écriture noire qui ne remplit même pas un quart de la feuille. Les mots que j'y découvre me figent instantanément sur le cuir de mon canapé.

"Je vais me suicider, ce soir, à vingt heure pile. Retrouve moi au bout du pont, devant la maison bleue qui borde la mer, si tu veux que je reste en vie."

C'est plus de rebondissements que je n'en demandais. Je pense d'abord à une mauvaise blague puis mon côté sérieux me rattrape. Et si c'était une connaissance ? Un ami ? Rapidement, mes pensées s'entremêlent. Je ne peux pas faire attention à ce genre de message. C'est sûrement un jeune de la ville qui a perdu un pari. Oui, c'est ça. Un jeune de la ville a perdu un pari.

- Phoebe, je pars en ville. Va t'habiller, je te déposerais chez le fleuriste.

Mon oncle, Martin, ou, comme il aime me le rappeler, mon tuteur légal, crie à travers la maison. Je vis avec lui depuis toujours. Je ne sais pas ce qui est arrivé à mes parents. Ils ne sont plus là, c'est tout. Martin a joué un rôle de père, sa femme Rosie, une rôle de mère et Jonathan, leur fils, un rôle de frère. En soi, nous sommes une famille comme les autres. Je les aime, ils m'aiment, c'est suffisant. Ils m'ont accepté dès la première seconde et ils continuent de m'offrir un environnement stable pour finir de passer dans l'âge adulte.

- J'arrive.

Je monte avec paresse les escaliers qui mènent à ma chambre. En deux temps trois mouvements, je suis prête. A moitié, s'il faut demeurer tour à fait honnête. La lettre de l'inconnu me trotte dans la tête et me force à réfléchir plus que nécessaire. Dans la voiture, je ne cesse d'y repenser.

- Martin, est-ce que si tu étais un inconnu, tu serais capable de mettre ta vie entre mes mains ?

- Bien sûr, pourquoi je ne le ferais pas ?

- Tu n'es pas objectif ! Tu dis ça parce que tu me connais. Essaye d'imaginer que tu ne m'a jamais vu. Par exemple, tu veux te suicider. Est-ce que tu mettrais une lettre dans ma boîte aux lettres pour essayer de faire en sorte que je t'en dissuade ?

- Absolument pas, si tu veux une objectivité totale de ma part.

- Merci Martin, d'avoir été honnête avec moi.

- Je t'en prie. Quelque chose en particulier te tracasse ?

- Non, ça va ! Merci de m'avoir déposé.

Je lui dépose un baiser sur la joue et claque la portière. L'odeur des fleurs arrivent jusqu'à moi et se mêlent à celle d'iode de la mer à cinq minutes d'ici. Je passe la porte et Maryline, derrière le comptoir, prépare une composition florale rouge et blanche.

- Bonjour Phoebe !

Je lui fais un signe de tête et m'empresse d'aller enfiler mon tablier.

***

J'ai travaillé toute la journée, ai fait face à toutes sortes de clients : gentils, méchants, pressés, agacés, heureux... Mais mes pensées, elles, étaient ailleurs. Cette lettre à fait des tours et des tours dans ma tête, j'ai essayé d'en interpréter chaque mot, chaque signification que ceux-ci pourraient avoir. Rien n'est plus difficile à faire, surtout lorsque l'on a aucune idée de l'individu qui écrit. Je sais que je me prends trop la tête, que ça ne doit rien représenter, mais je ne peux pas m'en empêcher. J'ai toujours eu un petit côté du penchant de l'obsession.

Je quitte le travail rapidement et cours sur la plage, à côté de la petite maison au volets bleus. Même si je doute de la véracité de cet écrit, même si une voix intérieure me crie de ne pas y aller, même si l'obscurité descend sur Hastings et que je n'ai aucun moyen de défense, même si c'est une blague d'un lycéen immature qui ne réalise pas l'ampleur de ses mots, j'ai besoin de tirer tout ça au clair. Parce que si tout s'avère être vrai, j'aurais la conscience tranquille. J'aurais sauvé une vie, dans le meilleur des cas.

Il est toujours difficile de savoir quoi faire dans ce genre de situations, quand nous sommes partagés entre l'incompréhension et le désir de savoir. Pourtant, j'ai pris une décision.

Je stoppe ma course quand le bout de mes chaussures s'enfonce dans le sable humide. La plage semble déserte au premier coup d'œil mais, en regardant de plus près, une silhouette, fine mais grande, coupe la linéarité du paysage. Il est vingt heure pile. Je n'arrive pas à détacher mes yeux de ce tee-shirt blanc. Avec précaution, je m'avance vers lui. A l'évidence, c'est un garçon. Un garçon aux courbes qui me semblent familière.

Ma main se pose sur son épaule et, à l'instant même où son visage pivote vers le mien, mon ventre se retourne et les larmes me montent aux yeux.

- Jonathan ?

- Salut Phoebe. Merci d'être venue.

Si Tu Veux Que Je Reste En VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant