Depuis une vingtaine d'années, dans une petite ville en banlieue de Paris, un pavillon accueillait de nombreuses familles, créant une ainsi une atmosphère chaleureuse et rassurante. Les enfants allaient tous dans la même et unique école du quartier, constituée de plusieurs bâtiments chacun destinés à un niveau scolaire différent, de la maternelle jusqu'à à terminale. Une seule équipe de professeurs assurait le suivi, induisant l'existence de forts liens, aussi bien entre les élèves qu'avec leurs professeurs, et notamment Madame Gland, la plus ancienne et fidèle. Cependant, cet environnement calme et tranquille n'excluait pas la survenue de drames, et de familles séparées. Dans une des maisons, la famille Levomit coulait des jours tranquilles, jusqu'à une violente dispute entre les parents du petit Dagobert la veille. Les Renard-Ours, une famille voisine très fortunée, étaient sortis et avaient accouru dès les premiers éclats de voix. Ils connaissaient bien Alphonse et son caractère volcanique, et savaient que Claudine ne craignait pas de l'affronter, quitte à en venir aux mains. Quand les voisines arrivèrent, elles constatèrent que le jeune père avait quitté le domicile, laissant Claudine abattue et seule pour s'occuper de son enfant. Elles étaient secrètement heureuses, ayant toujours eu un faible pour Alphonse, et maintes fois tenté de le séduire. Cependant, avec tout l'art de l'hypocrisie parfaitement maîtrisé par les trois femmes, elles avaient tenté de consoler Claudine, mais en vain. Elle était effondrée, parce qu'elle savait qu'elle devrait maintenant faire face à son fils, qui ne comprendrait sans doute jamais l'abandon pourtant réel de son père adoptif. Le lendemain, les esprits s'étaient quelque peu apaisés. Claudine s'était levée peu de temps après avoir enfin trouvé le sommeil, pour ne pas changer les habitudes de Dagobert. Elle avait commencé à préparer son petit déjeuner, et mis son petit pot au micro-onde, pour qu'il soit juste tiède à son réveil. En entendant les pas du petit garçon qui se levait, elle inspira un grand coup, retint ses larmes, et installa un joli sourire sur son visage fatigué.
- Minmin, il revient quand pinpin? demanda le garçon en arrivant dans la cuisine.
- Je ne sais pas, mon Dagou, répondit Claudine en feignant l'indifférence tant bien que mal. Il est parti pour un petit voyage mais il revient bientôt, t'inquiète pas.
- Tu es sûre ? interrogea Dagobert, perplexe. Une fois tu m'as dit que j'aurai mon quad à noël et j'ai eu juste des roulettes de vélo.
- Oui mon chéri, mais tout le monde peut se tromper.
- Ou alors, papi et papi sont des gros radins.
- Dag!
Le jeune garçon riait de bon cœur à sa propre phrase. Claudine n'eut pas le cœur à le réprimander.
- Tu promets que pinpin revient bientôt ? reprit soudain Dag, plus sérieusement.
Claudine retint sa respiration. Comment pouvait-elle mentir de cette façon à son fils? Avait-elle le droit de le fourvoyer à ce point? Il finirait par s'en rendre compte. Mais elle n'avait pas le droit de le faire souffrir, pas le droit de le priver de son père. Alors elle se décida.
- Dag, ton pe...
Elle fut interrompue par la sonnerie du micro-ondes.
- Ton petit pot est prêt.
Elle se réfugia précipitamment à la cuisine. Elle sortit le pot, prit une cuillère et le posa sur la table.
- Tiens Dag, voilà pour ton petit déjeuner.
- Mici minmin.
Il prit une cuillère puis fit une grimace.
- Mais minmin c'est trop chaud en bas et trop foid sur le dessus! C'est pas comme ça ! Normalement pinpin il mélange tout bien comme il faut!
À l'évocation de son mari, Claudine sentit les larmes lui monter aux yeux.
- Dag, mon Dagou, pardon, je vais le mélanger...
- Non je veux pas toi! Je veux pinpin! Cria le jeune garçon.
Il accompagna ses paroles d'un geste brusque qui précipita le pot à terre. Lorsque qu'il toucha le sol, Claudine sentit son cœur se briser aussi fort que le verre du petit pot. Elle sorti de la maison en pleurs, effondrée. Elle laissa Dagobert hurler dans la cuisine, appellant un père qui ne reviendrait jamais plus.