Jour 14

8 0 0
                                    

Blanc.
Je me réveille.
C'est mouillé. Il fait sombre.
Le jardin ? Non, c'est...
La forêt.
J'essaye de bouger. Je suis trempée.
Je sens mon corps. L'eau glacée en dessous de moi. La terre mouillée entre mes doigts.
J'entends mon souffle. Mon cœur qui bat.
Je ne suis pas morte.
Je ne suis pas morte.
J'essaye de me relever à l'aide de mes bras.
Et là.
Ma jambe.
Ma jambe gauche a repoussée.
Comment.
Comment est-ce possible ?
Je m'assois.
Il fait nuit. J'entends ma respiration qui siffle.
Mais je ne sens rien. Pas de vent. Aucune brise.
Je n'ai pas froid, ni chaud.
Pourquoi je suis de nouveau ici ? Pourquoi ma jambe a repoussée ?
Et ma blessure ?
D'un geste vif, je relève ma manche.
C'est impossible.
C'est impossible.
C'est juste impossible.
Les marques de l'aiguille. Disparues.
Et à la place, un tatouage.
C'est impossible.
Une lettre. T.
Mais comment, putain, comment ?
Je m'étais suicidée. J'étais morte. Je suis morte.
Alors pourquoi ce foutu tatouage ? Comment, comment il est arrivé là ?
Mon bras tremble.
Le tatouage est récent. Rougi à ses contours.
Il faut que je m'en aille.
Je ne peux pas rester ici.
J'essaye de prendre appui sur mes jambes.
Mais impossible.
Je reste assise, là, dans cet eau.
Cet eau croupie. Sale. Je suis sale.
Attends.
Je réalise.
Je me tourne. Les rochers.
C'est.
C'est...
C'est le lieu où j'ai tué ce cerf.
Pourquoi je suis ici ?
Il l'a fait exprès, je le sais. On m'a amenée ici, de force.
Mais comment ma jambe aurait repoussée alors ?
Ma respiration s'accélère.
Je suis dans l'étang, à la place de ma victime.
Est-ce une illusion ?
Était-ce dans ma tête ?
Est-ce que c'était moi qui avait inventé cette amputation ?
Oui, voilà. C'était ça.
C'était dans ma tête.
Juste dans ma tête.
Et ce lieu, tout ça... Ma place dans cet étang...c'est moi.
C'est moi qui invente tout ça.
Je souris. Et puis je ris.
Je ris.
Je ris de ma stupidité, assise dans cette eau degueulasse, au milieu de nulle part.
Bien sûr, ça me paraissait évident.
Après avoir mangé ce cerf, je me suis évanouie voilà tout !
Je me suis évanouie. Je me suis évanouie ! J'ai inventé l'amputation, c'est ça !
Allez ce n'est pas parce que je n'arrive pas à me lever que tout ce qu'il y a autour de moi n'est pas réel.
Il suffit juste que je prenne appui sur mes bras. C'est tout. C'est simplement ça.
Je m'appuie dans l'eau, mais rien. Toujours rien.
Allez, tu peux le faire !
Il suffit juste de...
.
.
.
J'ai entendu un bruit.
Là, au loin, en face de moi, entre les arbres.
C'est quoi ? Je regarde, mais il n'y a rien.
Juste ces arbres grands et sombres.
Allez, si j'arrive à me lever je pourrais...
.
.
.
Qu'est-ce que.
Il y a un cerf.
Là, il est là bas.
Il me fixe. C'est quoi son problème ?
Je lui fais un geste du bras.
Va-t'en ! Pars ! Dégage !
Il s'avance.
Avait-il pensé que je l'appelais ? Non ! Je ne veux pas de toi !
Il s'avance encore plus. Toujours ses yeux sombres fixés sur moi.
Je tremble. J'ai le cœur qui bat. Pourquoi j'ai peur ? Ce n'est qu'un cerf. Un foutu cerf. Un animal. Et c'est moi l'humaine. Je suis supérieure, alors pourquoi, pourquoi m'effraie t-il.
Il s'avance encore plus.
Je veux reculer, mais rien. Je...je n'arrive pas à bouger.
Recule, bon sang, recule ! T'as pas besoin de grand chose pour juste reculer !
.
.
.
Je m'énerve mais ça ne sers à rien.
Le cerf est proche, il est là. Au pied de l'étang.
On se regarde, et il me fixe.
Ses yeux sont pénétrants, presque...hypnotisants. Qu'est-ce qu'il me veut ?
Il s'approche encore.
Il n'est plus qu'à quelques centimètres de moi.
Je le sens, et il me sens.
Il pue. Il sent le moisi, des mouches tournent autour de sa tête.
Ses yeux me fixent. Vides et noirs.
Vas-t'en ! Vas-t'en !
Je tends les mains comme une forcenée, pour le repousser.
Je sens son museau, ses joues, son front. Ils sont froids.
Je le pousse. Je le pousse. Et je le pousse.
Il ne bouge pas.
Et à sa droite, un autre cerf.
Plus loin, mais il se rapproche.
Puis j'en vois un autre à sa gauche.
Et encore un autre, et encore un autre, et encore un autre.
Ils me fixent tous, uns à uns.
Qu'est-ce que vous avez ? Qu'est-ce que vous me voulez ?
J'essaye de crier.
Dégager Putain !
Mais rien. Ma voix reste sciée, coincée au fond de ma gorge.
Je ferme la bouche. Ça ne sert à rien, c'est juste la peur. Simplement la peur.
Ils s'avancent. Tous.
Qu'est-ce que vous me voulez.
Ils sont près. Trop près.
Reculez !
Je tends encore la main, le premier cerf me mord.
J'ouvre encore la bouche par surprise et douleur, sans émettre le moindre son.
Puis, le second cerf me mords les cheveux.
Arrête, arrête !
Il les arrache de ma chair, et les mange, comme une herbe sèche.
Un troisième s'en prend à moi, il s'en prend à mon bras, l'autre, ma jambe, puis encore un autre, pour prendre la seconde.
Ils me font mal. Je ne peux pas hurler.
Et à quoi bon ?
Ma chair me tire, mon crâne me fait mal.
Ils déchirent tous mes vêtements, désormais tous présents autour de moi.
Leurs dents sont acérés, douloureuses, pointues. Elles me mâchent, m'arrache la peau.
Je saigne un peu, puis abondamment.
Petit à petit, ils percent mon enveloppe corporelle, je ne suis qu'un cadavre au ventre ouvert.
Comme lui. Comme le cerf.
Je souris. C'était donc ça ma fin ?
Les bouches des cerfs atteignent mon estomac, mon intestin. Ce que je suis de l'intérieur.
Je deviens une pourriture, une moisissure.
Je deviens comme le cerf. Mon cerf. Je deviens un cadavre, rien. Je n'existe plus.
Les cerfs s'arrachent mes organes. J'en rirais presque. Eux qui sont des herbivores.
Et pourtant, l'un d'entre eux, plonge sa tête en mon ventre. Ses bois me griffent le visage.
Il en sort quelque chose. Impossible.
Je suis vide. Vide de sens. Même mes organes sont inutiles.
Je le sens mordre à l'intérieur de moi, tirer sur quelque chose. Je grimace. Pourquoi je grimace, je ne devrais pas le sentir.
Et je le sens, comme le sang qui coulent dans mes veines.
Il tire. Il tire, il tire.
Quelque chose, un objet.
Et entre ses dents, encore une lettre : I.
Le sang continue de gicler. Ils me mangent tous. Ils me dévorent, je suis leur nourriture.
Je ne suis pas morte.
Je ne suis pas morte, et je veux mourir.
Je ne suis plus qu'un tas de chair, d'organes virolants.
Je n'en peux plus.
Je n'en peux plus.

Je n'en peux plus, alors je ferme les yeux.
.
.
.
.
Noir.

EnferméeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant