Secrets

Lors du soulèvement des anges au Paradis, les rebelles se sont vu jeter en dehors du Royaume des Cieux, contraints dès lors à peupler les enfers. Parmi les anges tombés, Asmodée, ou encore Lucifer. Pourtant, un nom fut à jamais oublié. Le mien. Tous oublièrent mon existence, faisant de cette dernière le plus grand des secrets, bien vite enterré sous les gravats de l'histoire. Même ces hommes qui retracèrent l'histoire du monde et sa création m'oublièrent. Avant que je ne fasse retirer mon nom et mon existence des mémoires et des mythes, nombreux me furent donnés. Le Tout Savant, Ferhug, Celui qui révèle chaque secret... Heureusement, mon vrai nom demeure secret. Actuellement, je suis Raz, détective privé au 66 Babylonian Street, Los Angeles.

Détective est le métier parfait pour une entité avide de connaissance, de secrets et de savoir. J'ai été journaliste fut un temps, quand la profession cherchait encore la vérité, puis les corpos ont tout ruinés. Chacune avait désormais son journal plus ou moins officiellement à sa botte. Seuls les privés ont encore la vérité comme gagne-pain, pas comme les flics, qui ne peuvent rien face aux Divisions du Secret de chaque corpos, qui s'assurent que rien de dérangeant ne vienne troubler l'image de leur employeur.

Généralement, on me demande de retrouver une personne, rassembler des preuves sur une tromperie, diverses fraudes... Plus rarement, on me demande faire la lumière sur un meurtre, et c'est la partie la plus excitante, car tout le monde a un secret, quelque chose à cacher, et enfin savoir toute la vérité sur une mort, accidentelle ou non, me donne tellement de puissance ! Cela me rappelle mes premiers siècles, avant l'ère de l'information...

On frappe à la porte de mon local, minuscule et miteux, mal éclairé, cultivant l'aura de mystère autour du fameux privé qui réussi tout ce qu'on lui confie. Je me lève et lui ouvre la porte, vêtu d'une chemise rayée, d'un pantalon brun clair à bretelles, faisant très détective de film noir, un des rares genres cinématographique que j'affectionne. Derrière la porte se trouve une élégante femme, blonde comme les blés, au regard déterminé mais qui ne se pose nulle part. Je pourrais savoir le moindre de ses secrets justes en la regardant dans les yeux, mais c'est trop facile. Avec l'age, on en vient à préférer l'effort plutôt que la facilité. « Entrez. Vous pouvez prendre la chaise en face de mon bureau, j'espère que la lumière ne vous dérange pas trop, un peu d'obscurité ne fait jamais de mal. » Tandis qu'elle s'assied en face de moi, je prends le temps de réfléchir. Lui laissant quelques secondes pour regarder autour d'elle, je lui demande : « Qu'est ce qui vous amène ici, dites-moi tout, et n'épargnez aucun détail, c'est très important pour moi. » Pêchant une cigarette au fond du paquet je l'allume et écoute ce qu'elle a à me dire. Un mari disparu, des appels sans réponses, quelques problèmes d'argent, beaucoup d'inquiétudes.

Hochant la tête à ce qu'elle me dit, je ne peux m'empêche de sourire intérieurement. Malgré tout ce qu'elle me raconte, il flotte dans l'air un fumet des plus agréable, celui du mensonge. Pas celui du mensonge simple, trop banal celui-là, mais du mensonge par omission, un véritable délice en comparaison. Toute cette affaire sent le mensonge, le mystère et les secrets honteux. Un sourire aux lèvres, je lui annonce mon prix. Cent nouveaux dollars, juste de quoi me faire vivre, puisque le véritable payement est immatériel pour moi.

A son tour de hocher la tête, avant de sortir une petite carte en plastique, parcourue par de fines veines dorées, des circuits imprimés. Je pose mon pouce dessus, et son œil droit se met à briller, comme si des lignes de codes défilaient très vite devant. « Très bien, je pense que tout est bon, je vais m'y mettre dès que je peux. » Un rictus me barre les lèvres. Tout cela s'annonce passionnant. La saluant d'un mouvement de la tête, je la regarde quitter la pièce et refermer la porte derrière elle. Avec un soupir d'excitation, j'enfile mon imper kaki et mon chapeau mou. Ils annoncent de la pluie pour les prochains jours.

Tout d'abord, allons fouiller le premier endroit qu'elle m'a conseillé, le bar fétiche de son mari, le Gateway, sur la cinquième avenue. J'attrape mon Beretta et le glisse dans mon holster. Je suis peut-être immortel, mais je ne fais pas pleuvoir le feu du ciel et je ne change personne en statue de sel. Je me glisse dehors et verrouille ma porte, avant de suivre le fumet d'un mystère à résoudre.