1- L'enfant des eaux

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Dans une contrée lointaine, au cœur de la Grèce, se trouvait un petit village portuaire du nom d'Attaleia. Il abritait en majorité des pêcheurs et des fermiers, chacun vivant de son dur labeur et participant à la vie de la communauté, priant Poséidon de ne jamais revenir bredouille.

Un matin d'été ensoleillé de l'an moins cinq cent quinze, se produisit un événement fort inattendu : un panier d'osier, apporté par les flots, vint accoster sur les berges. Il fut trouvé par le fils d'un riche marchand du village. Ce n'était pas un panier comme les autres car il contenait un bébé âgé de deux ans environ. Une fillette aux yeux aussi verts que l'herbe fraîche et aux cheveux aussi rougeoyants que le soleil couchant. Il fut décidé par les hommes, au forum, que l'enfant serait confiée à une famille respectable du village, celle d'Alystos et d'Erhélia Mystakis. Ils avaient déjà un fils âgé de quatre ans, mais désiraient depuis fort longtemps une fille.

Quelques mois passèrent, Erhélia prenant soin de la fillette comme de son propre enfant. Toutefois, le couple se rendit très vite compte qu'elle n'était pas une enfant ordinaire... Un jour, alors qu'ils l'avaient emmenée aux champs, Erhélia la déposa à l'ombre d'un arbre tandis qu'elle égrenait le blé. Lorsqu'elle se retourna, quelque temps plus tard, l'herbe avait tant poussé autour de la fillette que l'on ne la voyait plus ! Intriguée, elle parcourut le champ de blé en la portant dans ses bras. L'enfant riait en agitant les mains, tel un jeu, et les épis de blé commencèrent à grandir sous les yeux éberlués d'Alystos et de sa femme. Voyant là un moyen de s'enrichir et de devenir les membres les plus puissants du village, tous deux décidèrent de garder secrète leur découverte.

–Crois-tu qu'elle soit l'enfant des dieux ? Demanda la femme.

–Ne sois donc pas si sotte, femme, les dieux n'abandonnent pas leur progéniture ! Je t'interdis de parler de cela à qui ce soit. Cette enfant est l'engence d'une sorcière, rien de plus, mais tant qu'elle nous sera utile nous la garderons à nos côtés.

La femme hésita un instant, légèrement effrayée par la situation.

–Et si elle avait été enlevée ? Les dieux s'en prendraient à nous !

L'homme se tourna brusquement vers elle, le visage rouge de colère.

–Il suffit, femme ! Je t'ai ordonné de te taire. Et que je n'apprenne pas que tu parles au village, vieille commère !

Les années passèrent. Ils lui apprirent à compter dès qu'elle fut en âge de parler correctement. Alystos la traitait telle une esclave, la faisant dormir à l'étable et lui imposant les pires corvées. Ils ne l'emmenaient jamais aux libations, la considérant comme un être maléfique pouvant jeter des mauvais sorts. Jamais ils ne la laissaient s'approcher de leur fils bien-aimé. Elle n'avait pour toute couche que la paille de l'étable et pour tout repas que des restes, au bon vouloir du chef de famille. Le matin, Erhélia l'envoyait au marché puis elle devait nourrir les bêtes, nettoyer la maison et faire la cuisine. À la nuit tombée, Alystos la traînait dans les champs, l'obligeant à utiliser ses pouvoirs pour faire pousser le blé. Lorsque celui-ci atteignait une hauteur acceptable, il le coupait. Il augmenta ainsi considérablement sa fortune en quelques années.

Si Ornela -tel était le prénom de l'enfant, noté sur une couverture trouvée dans son berceau- refusait, il la battait. Ainsi s'écoulèrent trois longues années de solitude et de mauvais traitements.

Ornela se sentait seule ; son cœur empli de tristesse était hanté de rêves joyeux où résonnaient le son des tambours et le crépitement du feu. Parfois elle se laissait aller à imaginer que tout cela avait vraiment existé, mais la plupart du temps elle en arrivait à se persuader qu'elle était folle et que tout cela devait être le fruit de son imagination, une échappatoire à ce destin cruel et froid.

Chroniques Antiques. Livre I. La déesse perdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant