Chapitre 1

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Point de vue de Yachiru

- Geki s'il te plait retourne à ta place et laisse ta copine tranquille ...
- Toi t'as rien à me dire! Arrête de mater le décolleté des filles et on en reparle après le vieux.

Et voilà. Geki avait encore joué son petit rebelle. Vous pensez peut-être que des rires emplissaient la salle de classe? Détrompez vous, les sourires que l'on pouvait y voir sont crispés, forcés pour satisfaire le trouble-fête. Moi je ne souriais pas. Je ne souriais plus depuis longtemps. Ils m'énervaient tout simplement, lui et ses acolytes, « la bande à Rintaro » comme ont disait ici. Je faisais la gueule et personne ne me disait rien. C'était bien comme ça: je ne les cherchais pas, ils me laissaient tranquille. C'était sûrement la seule qualité que je pouvais leur trouver. Ah au fait, je m'appelle Yachiru Ikeda, et bienvenu dans ce qu'était mon lycée. Avant tout, il faut que vous ayez connaissance d'une chose: la hiérarchie qui régnait ici. Hiérarchie, oui parfaitement, je devrais même dire : « vous devez savoir qui avait le pouvoir », mais ça fait un peu glauque comme présentation alors j'éviterais. Au lycée Shôtoku, Rintaro Shirai et ses brutes régnaient en maître grâce à leur futile force physique. Mais qui irait contester le pouvoir établi devant des mecs aux bras plus gros que vos mollets? Tout le monde tremblait devant eux, et pas besoin de vous faire un dessin pour comprendre qu'ils en profitaient bien. Le chef de cette bande, Rintaro, était dans la classe voisine à la mienne, un peu de malheur en moins. C'est sûrement le genre de gars que je hais le plus au monde: il usait et abusait de violence gratuite; peu importe à qui, il s'en prenait, les plus faibles y passaient aussi; il ne se battait jamais contre quelqu'un qu'il savait plus fort que lui, fallait pas qu'il se fasse mal le pauvre chou, pour ça il laissait faire ses chiens, ses « amis »; et par dessus tout ça, il possédait un ego sur-dimensionné qui n'avait pas raison d'être. C'est le genre de personne qui se croit forte et puissante à faire baisser la tête des autres par ses sales mains crasseuses. Il puait la dignité mal placée.

Mais je ne vais m'éterniser sur le sujet, passons. Mon nom, vous le connaissez déjà, mon âge? 16 ans à l'époque. Shôtoku est le seul lycée que j'ai connu. Je ne peux pas savoir s'il y a mieux ou pire ailleurs, et puis ce lycée, je m'y suis fait très vite. Je ne suis pas vraiment sociable, alors m'intégrer parmi les élèves, je m'en foutais royalement. Si personne ne voulait manger avec moi le midi, qu'est-ce que ça pouvait me faire? Je n'ai jamais recherché la compagnie des autres, je m'en méfie. Et ce n'était pas les exemples que j'avais sous les yeux qui aurait pu me donner tord. Ma famille ? Absente. Fade sera peut-être plus approprié. Disons qu'elle me servait d'entourage et que grâce à elle j'avais un toit. Ne pensez pas que je n'ai pas aimé ma famille, j'aimais ma grande sœur. J'aimais. Elle est morte il y avait quatre ans alors, tabassée par des inconnus ivres. Des hommes qui avaient envie de jouer. Mes parents, eux, étaient fades. Ils étaient là mais servaient de décor. Les seules phrases que l'on pouvait échanger étaient de banales « Okaeri *», « Ah! Yachiru ! On mange des gyoza ce soir. »-celle-ci devait bien être la plus longue-, « Bonne journée? ». Bonne journée: exemple type de leur désintérêt pour mon cas. Ils savaient depuis longtemps que je suis une incurable solitaire, que mes journées se résument en un seul mot, mais pour leur éviter le soupçon de culpabilité qu'ils pouvaient avoir, la réponse était toujours positive. Inutile de poursuivre avec des questions du genre « et les amis ça va? », ils ne voulaient surtout pas entendre la réponse. Un certain temps avant, il y avait des années, ils se démenaient pour me coller avec d'autres de mon âge -qu'ils appelaient « mes amis» avant même que je n'ai vu leur visage- et essayaient de me convaincre que les autres n'étaient pas méchants. Ce ne fut que plus tard que je compris qu'ils essayaient juste de faire bonne figure face aux autres parents. On en apprend des choses en grandissant. Je leur pardonne bien sûr, ils sont humains. Et puis ils n'avaient pas toujours été comme ça, et leur affection n'avait pas toujours été fictive. Quand ma sœur était encore là pour jouer avec moi, nous allions bien. Mais ça remonte à si loin maintenant, ça n'est plus qu'un vague souvenir édulcorer et naïf. Ah, je m'éternise encore.

Voilà enfin la sonnerie, je vais pouvoir prendre l'air. Attrapant mon sac, je me lançais sur mon trajet quotidien avec la lenteur de l'habitude. Direction l'avant dernier étage, la dernière salle à droite au bout du couloir 4B. Le toit était trop prisé pour moi, et ne parlons pas de cette plaque de béton qui servait de cour. Je préférais cette petite pièce délabrée et toujours vide à ce fourmillement constant que vous inflige la vie en communauté. Parfois je me demandais qui pouvait bien occuper cette salle avant le changement de directeur. Je me plaisais alors à imaginer une classe de parfaits petits bourgeois, assis droits comme des soldats, confortablement installés derrière leurs bureaux rangés en trois impeccables colonnes. Ils écouteraient attentivement un professeur aussi sec que sa craie, qui réciterait son cours comme s'il avait appris par cœur. De temps en temps, un des élèves ne donnerait pas la bonne réponse, mais cela ne provoquerait aucun rire, il se prendrait un joli coup de bâton sur les doigts et s'appliquerait à garder le regard vissé sur sa feuille jusqu'à la sonnerie libératrice. Un peu strict mais j'avoue ne pas savoir quelle époque serait la meilleure. Sur mes rêvasseries, j'engloutissais mon bentô et descendis du vieux meuble poussiéreux sur lequel j'étais perchée. Aujourd'hui le lycée accueillait de nouveaux élèves. Si mes souvenirs étaient bons, il y aurait une fille et une petite dizaine de gars en plus dans notre magnifique établissement. Je me demande si Rintaro et sa meute leur offriront un cadeau de bienvenu comme pour les derniers en date. Quelque chose comme une chaise fraîchement repeinte ou un petit déménagement surprise du casier. Un chouette souvenir pour les nouveaux arrivants en tout cas.

Je descendais les escaliers quatre à quatre, j'avais encore mis trop de temps à retomber sur terre. J'arrivai enfin en classe, je n'étais pas la dernière, ça allais. Je n'étais jamais la dernière.

- Hey ! Le prof ! Y devait pas y avoir une nouvelle élève ici !

C'est ça Geki, gueule un peu si ça te fait plaisir.

- Si, mais elle est dans la classe d'à côté. Ici nous accueillerons une partie des garçons.

Ah il était vexé là! Bah oui, petit Geki n'aura pas son nouveau jouet. Alors qu'il allait encore protester, un de ses copains lui fit signe de se taire, et il se rassit gentiment. Brave petite bête.

- Je vous laisse vous présenter. Dites nous vos nom, ça nous suffira.

Il m'arrivais d'avoir pitié de ce professeur. Pas souvent. Mais il avait une qualité essentielle pour survivre ici: il était dépressif de nature. Parmi les nouveaux, aucun ne semblait particulièrement violent, ni éventuellement facile à soumettre. Je me demandais quel genre d'élève il deviendrait. Un grand châtain, les cheveux raides et une demi frange devant l'œil gauche s'avança nonchalamment du petit groupe.

- Je m'appelle Yamashita Tomohisa, enchanté.

- Merci, tu peux aller t'assoir ...


Le professeur n'eut pas le temps de finir que le dit Yamashita s'installait déjà à la place du fond, le bureau en bois gris, un peu à l'écart des autres. Lui, s'était officiel, il s'avérait être un solitaire. Avec cet air imperturbable, Rintaro ne devrait pas trop le chercher. Après ce magistral exemple, les trois autres nouveaux suivirent et se dispersèrent un peu partout, comblant les trous dans le plan de classe. On entendit soudainement un fracas de rires provenant de la salle voisine. Sûrement celle qui devait recevoir les autres arrivants. Puis le calme retomba et le cour commença, dans une étrange et lourde ambiance. Quelque chose se préparait.

Veux-tu être mon jouet? [AKAME]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant