J'ai enlevé mes chaussures, ma ceinture et ma veste, j'ai éparpillé tous les trucs électroniques qui se trouvaient dans ma valise qui me servait de bagage à main, puis j'ai avancé. Lentement. La gorge serrée en voyant ma famille au bord des larmes. Mon père essayait de faire bonne figure, mais j'ai bien vu qu'il n'était pas serein. Il avait ce petit rictus forcé au coin de la bouche comme lorsque quelque chose le tracassait. Ma mère a eu le plus beau sourire qu'une maman puisse offrir à son enfant. Elle était magnifique. Mon petit frère, lui, attendait.
Il n'avait pas l'air de comprendre tout ce qu'il se passait, mais il attendait. Il me regardait partir. Ils me regardaient tous partir lorsque je me suis engouffré dans la zone où ceux qui ne voyageaient pas ne pouvaient pas venir. J'ai récupéré mes affaires et j'ai levé les doigts pour leur envoyer un dernier message, un petit et discret « I love you » en langage des signes. Ils m'ont répondu et, alors que je m'éclipsais, j'ai vu ma mère fondre en larmes et cette dernière image m'a pincé le cœur.
Comme un con, je me suis encore demandé pourquoi j'avais eu la brillante idée de favoriser l'avion plutôt que le train. Je n'avais pas pensé que cela allait autant me paralyser. Étant un grand stressé de nature, imaginez l'état d'angoisse dans lequel j'étais lorsque nous avons commencé à décoller. Et il n'y avait qu'une heure de vol. Heureusement que je n'avais pas décidé d'aller vivre en Australie. J'aurais sûrement pété un câble et demandé aux hôtesses de l'air de m'ouvrir un hublot.
Mon calepin, un crayon et mon casque sur les oreilles (3), je me suis amusé à griffonner le bonhomme qui était situé à ma diagonale. Quand je dessinais le temps passait sans que je ne m'en aperçoive. Je m'évadais, seul dans mon monde et mes pensées. Plus personne autour n'existait. Tout ce qui comptait à ce moment précis, c'était mon bout de papier et mon crayon usé. Mais lorsque l'avion a atterri avec la délicatesse d'un hippopotame qui s'assiérait sur une chaise, j'ai pété ma mine. Super.
Lorsque mes pieds ont touché le sol, je n'arrivais pas encore à me rendre compte que j'étais arrivé en Angleterre. Les gens autour de moi parlaient anglais mais... je n'arrivais pas à prendre conscience de l'endroit dans lequel je me trouvais. J'ai suivi tout le monde pour aller récupérer mes valises.
Ah oui, merde... Le contrôle de police. C'était d'un chiant. Niall m'avait averti de toutes les étapes. Et franchement, je pense que j'ai mis plus de temps à passer tous les contrôles qu'à faire le trajet en lui-même. Une fois mes deux grosses valises récupérées, je me suis rendu au point de rendez-vous que nous avions fixé avec Harry. Je l'ai cherché des yeux mais... Je ne l'ai pas trouvé.
Bordel... En plus mon portable ne fonctionnait pas ici, évidemment. J'espérais que je ne m'étais pas fait avoir. Plus les minutes passaient, plus je stressais. Je ne savais pas quoi faire. J'étais chargé comme un mulet et j'étais complètement paumé. J'avais atterri à l'aéroport de Luton, autant dire à l'autre bout de Londres. Comment j'allais faire si je n'arrivais pas à le trouver ? Il allait falloir que je demande à quelqu'un si j'étais au bon endroit mais... Je n'osais pas aller embêter les gens. Angoissé comme je l'étais, j'allais bafouiller et me mettre à rougir comme un naze. OH ! Le wifi était gratos dans les aéroports. J'ai essayé d'enregistrer mon adresse mail pour pouvoir téléphoner à Harry. Une fois les codes enregistrés, je me suis empressé de trouver mon application Viber pour l'appeler.
Alors que je commençais à relever la tête, j'ai vu au loin des bottes dorées avancer vers moi. Un grand mec à la silhouette élancée marchait dans ma direction. Il portait un jeans noir ultra serré et un t-shirt blanc sur lequel il avait retroussé les manches. J'ai découvert son bras gauche rempli de tatouages, tout un tas de petits dessins l'habillaient. Ils avaient l'air beaux. Il avait un bonnet qui retenait ses cheveux incroyablement longs. Je m'en étais douté à travers la caméra mais là, je n'ai pu que confirmer ce que je pensais. Il a eu un sourire éclatant lorsqu'il a décroché son téléphone.
« Louis ? »
« Oui ? »
« C'est bien toi avec toutes tes valises devant mes yeux ? »
« Tu es en t-shirt blanc et tu portes un bonnet ? »
Il a rigolé tout en continuant d'avancer
« C'est moi. J'arrive. »
Oh mon dieu... Il était... pire que beau. Il avait un visage tellement magnifique que ça en devenait presque ridicule. Son regard était envoûtant, d'un vert transperçant. Il avait un petit sourire en coin adorable. Il avait de grandes mains fermes. Il était vraiment beau. Ses cheveux avaient l'air doux et soyeux, j'ai eu envie d'y passer les doigts. Oh, oh, oh, je devais me calmer. C'était mon patron. Il fallait vraiment que je me ressaisisse, je ne pouvais pas craquer sur lui.
« Salut ! » m'a-t-il dit une fois arrivé à ma hauteur.
J'étais tellement perdu dans ma contemplation que je ne lui ai pas répondu de suite. Il a passé la main devant mon visage comme pour me ramener sur terre. Après que j'aie retrouvé une couleur de peau convenable, Harry a attrapé mes valises comme si elles ne pesaient absolument rien. Je l'ai regardé faire, complètement tétanisé de découvrir un être aussi sublime. J'ai eu envie de me mettre la tête dans le mur pour oser penser des choses pareilles. En même temps... Je ne faisais rien de mal. Je regardais, c'était tout. Enfin, il n'y avait rien de mal là-dedans, n'est-ce pas ?
Il me parlait mais je répondais à peine. Il allait falloir que je fasse un effort, il allait finir par croire que j'étais muet. Et si je m'en référais au GPS, on en avait pour un bon bout de temps, tous les deux dans cette voiture. Quarante-cinq minutes à ne pas parler, ça risquait d'être long. Parfois, j'avais vraiment envie de me mettre une claque tellement violente qu'elle me ferait peut-être réagir. Mais c'était plus fort que moi, cette timidité me collait à la peau. Alors si en plus de ça, on ajoutait un interlocuteur hyper mignon... Combustion. Je ne savais plus où me mettre. C'est bien pour ça que j'étais un piètre dragueur. Je ne pouvais pas aligner deux mots sans bafouiller et me sentir ridicule.
« Tu as bien voyagé ? »
« Oui. »
Il a ri doucement et a repris.
« C'est vrai que t'as pas l'air bavard ! »
« Euh... Désolé, je suis très timide. »
Il avait toujours ce magnifique sourire collé aux lèvres.
« Oui, je m'en souviens. C'est rien, ça ne me dérange pas. »
Et comme si c'était la chose que j'avais besoin d'entendre, j'ai continué la conversation. Jusqu'à ce qu'on arrive. Harry a vraiment été cool. Il a essayé de me détendre du mieux qu'il le pouvait en me racontant quelques blagues. Pas toutes très drôles, mais l'intention était là. Il m'a beaucoup parlé d'Emma.
Il avait l'air fasciné par sa fille, j'ai eu encore plus envie de la rencontrer. Mais évidemment, le bout de chou dormait déjà. Il était plus de vingt-deux heures.
En rentrant dans la maison, j'ai tout de suite été charmé. Elle n'était pas très grande mais elle dégageait quelque chose de chaleureux. On avait envie d'y vivre. Et tant mieux, car ça allait être ma maison pour une année. Un an. Bordel. Je n'arrivais pas à croire que je l'avais fait. J'y étais. J'étais en Angleterre. Il m'a fallu une minute pour enregistrer l'information avant de voir une tornade blonde débouler vers moi.
« Salut Louis ! Moi c'est Dawn. J'dois filer mais on se revoit vite hein. »
Elle m'a claqué un baiser sur la joue et s'est envolée. Cette fille était folle. Je n'ai pas eu le temps de me présenter qu'elle a enfourché son vélo et est partie à toute vitesse.
« Ne fais pas attention à elle. Elle est gentille mais c'est une vraie pile électrique. »
« Euh... Qui est-ce ? »
« Ah oui c'est vrai. C'est ma baby-sitter, Emma l'adore. Et tu vas l'adorer toi aussi. Elle fout la bonne humeur à tout le monde avec son sourire de trois kilomètres. »
« Ah d'accord. Mon meilleur ami a le même caractère que moi alors... les excentriques ne nous approchent pas. »
« Oh non, non, ne te fie pas aux apparences. Elle est vraiment adorable, tu verras. »
« D'accord. »
Eh bien... Je verrais ça comme il disait si bien. Je n'étais pas sûr de m'entendre avec elle mais, comme on dit, l'habit ne fait pas le moine.
J'ai suivi Harry comme son ombre dans toutes les pièces de la maison. Il m'a fait une visite guidée rapide avant de me montrer ma chambre et de me souhaiter une bonne nuit. Une bonne nuit... Tu parles. J'étais tellement excité que je n'allais pas réussir à m'endormir. Ma chambre était très grande. Il me semblait d'ailleurs que c'était la plus grande de la maison. Harry m'a soufflé qu'il aurait aimé s'y installer, mais que les poutres en bois qui parsemaient la chambre étaient trop basses pour lui. Tu m'étonnes, il était géant. Enfin, comparé à moi bien sûr.
J'avais un tas de placards enfoncés dans les murs et une salle de bain. Malgré l'heure, tout ce que je souhaitais, c'est déballer mes valises et commencer à décorer ces murs blancs. Je n'aimais pas le blanc. Trop triste. Trop pur. J'aimais quand il y avait des trucs accrochés un peu partout. Des posters, des dessins, des photos, des souvenirs. N'importe quoi sauf des murs blancs. L'angoisse. Et pas besoin de rajouter celle-ci à la longue liste que j'avais déjà en ma possession. J'ai envoyé un rapide message à ma mère pour lui signaler que j'étais bien arrivé et me suis écroulé sur le lit.
***
J'ai entendu du bruit proche de mon oreille mais n'y ai pas vraiment prêté attention. L'un de mes yeux s'est ouvert difficilement et j'ai découvert une petite bouille qui me regardait de ses grands yeux bleus. Putain. Elle était vraiment jolie cette gamine. Elle me regardait tendrement, j'imaginais toutes les questions qui devaient se balader dans sa petite tête. Mes deux yeux étaient ouverts, j'allais pour amorcer ma phrase quand un murmure a surgi de sa bouche.
« C'est toi Louis ? »
Je fondais. Elle était définitivement trop adorable. J'ai acquiescé dans un « Hum hum. » pitoyable. Elle s'est rapprochée de moi et m'a embrassé la joue.
« Papa fait dodo et j'ai faim. »
Hop, c'était parti, au boulot ! J'ai enfilé un sweat et passé la capuche sur ma tête. Emma a attrapé ma main et m'a dirigé vers les escaliers. En passant devant la chambre d'Harry, je l'ai vu, étalé tel une étoile de mer, la tête en direction du sol et les boucles passant au-dessus. On aurait dit un mec qui avait pris sa murge la veille.
Arrivés dans la cuisine, Emma m'a demandé gentiment de lui préparer le petit déjeuner. Elle était tellement aimable que je me suis demandé ce que j'avais bien pu faire pour tomber dans une famille aussi charmante. Elle est partie allumer la télévision et j'ai constaté qu'elle tombait directement sur les programmes pour enfants. Harry préparait-il tout avant d'aller se coucher ? Ou alors il ne regardait jamais la télévision. Je découvrirais ça plus tard.
Pour l'instant, assis sur la moquette avec la petite à mes côtés, nous savourions nos céréales. J'ai également coupé quelques fruits à la demande de Mademoiselle. C'était assez drôle car si on avait proposé des fruits à mon petit frère en guise de p'tit dej', il aurait envoyé valser le bol. Mais elle, elle en réclamait. J'aimais ça, ça me plaisait.
Je l'ai regardée manger et elle m'a fait sourire. Elle m'a demandé des oranges mais tout ce qu'elle en faisait, c'était aspirer le jus. Autant que je les presse, dans ce cas. Elle avait l'air tellement absorbée par les dessins animés que la maison aurait pu prendre feu, elle ne s'en serait même pas aperçue. Hypnotisée. C'est pour ça que je n'étais pas un grand fan de ce truc. Tu deviens vite débile à rester bloqué devant pendant des heures. J'adorais regarder un bon film de temps en temps, mais me taper les téléfilms où les émissions de TV réalité... Non merci. J'espérais qu'Harry ne se servait pas de cet objet pour occuper le temps libre de sa fille. Parce que ça, à coup sûr, ça n'allait pas me plaire.
En parlant du loup. Il venait de se réveiller, je l'entendais marcher dans sa chambre. Il est descendu discrètement et s'est posté derrière nous. Sa fille ne l'avait pas encore remarqué, saleté de télé. Je lui ai adressé un petit signe en guise de bonjour et ai rapidement évité son regard. Je n'avais pas halluciné la veille, il était vraiment putain de beau. J'aurais bien aimé avoir cette tête là au réveil. Il s'est raclé la gorge et la petite s'est retournée. Elle s'est levée d'un bond, manquant d'éclabousser le sol avec son bol, et est partie pour lui sauter dessus. Harry l'a arrêtée avant qu'elle ait le temps de l'atteindre.
« Non Em, j'avais dit quoi hier ? »
« Euh... »
« Oui, tu peux faire "euh". J'avais dit : si tu es réveillée avant moi, viens me chercher et ? »
Il a attendu la fin de sa phrase, mais la petite a tenté de l'amadouer avec son regard taquin.
« Em ? »
« Et t'as dit que je devais pas embêter Louis. »
« Et donc...? »
« J'ai pas écouté. Mais papou, tu faisais vraiment bien dodo. Je voulais juste voir la vraie tête de Louis et il a ouvert l'œil. Et puis, y'a mon ventre qui faisait brrrrrr... »
Harry n'a pas réussi à retenir son sourire lorsque sa fille s'est tapoté le ventre en imitant le bruit de son estomac qui, apparemment, criait famine. J'ai eu le droit à un gros câlin en guise d'excuse et une promesse comme quoi elle ne reviendrait plus m'embêter dans ma chambre. J'ai doucement glissé à Harry que cela ne m'avait absolument pas dérangé, mais il a insisté. Il voulait que je me sente comme chez moi, que la chambre que j'occupais soit une pièce qui m'appartienne. Et il disait qu'on ne rentre pas comme ça chez les gens. Je trouvais l'attention adorable de sa part. J'ai pensé qu'à l'avenir, j'aurais des week-ends vraiment reposants. Nathan avait la fâcheuse habitude de venir me réveiller en sautant partout sur mon lit, y compris moi-même, en hurlant un tas de conneries plus grosses que lui.
Après une bonne douche, j'étais fin prêt à débuter cette première journée. Nous étions dimanche alors je ne travaillais pas. Mais je ne voulais pas, en plus d'être rangé dans la case « timide », me retrouver dans celle « ermite » où « associable ». Alors j'ai décidé de passer la journée auprès d'eux. Et là, tout de suite, j'ai clairement eu l'impression d'être un chinois débarqué chez les russes. La petite parlait à une telle vitesse que je ne comprenais rien de ce qu'elle disait. Elle mâchouillait et contractait presque tous les mots. Même en me concentrant, j'avais du mal. Grâce aux réponses de son père, j'arrivais un peu à suivre le fil de la conversation, mais ce n'était pas gagné. La discussion tournait autour de ce qu'il restait à acheter pour la rentrée des classes. Emma paraissait toute excitée, tellement contente de faire partie des « grands ».
J'avais beau les regarder, je ne trouvais aucune similitude entre leurs visages. Il était brun, elle était blonde. Il avait les yeux verts, elle avait les yeux bleus. Par curiosité, j'aurais bien aimé trouver une photo de la maman dans la maison. Pour savoir à quoi elle ressemblait. J'étais certain qu'elle avait plus de points communs physiques avec sa fille qu'Harry. Dans ma famille, j'avais tendance à correspondre à ma mère, alors que mon frère avait les traits de mon père. La génétique, je n'y comprendrais jamais rien. Et ce n'était certainement pas ce matin-là que j'allais me pencher dessus.
« Louis ? »
« Oui ? »
« T'as beaucoup de dessins sur ton bras ? »
Et merde. Je portais un t-shirt à manches longues du groupe Red Hot Chili Peppers et avec cette chaleur, j'avais rapidement retroussé mon haut. Je n'avais aucune idée de ce qu'en pensait Harry. J'avais bien distingué qu'il en avait, mais il n'avait pas vu mes bras.
« Euh, quelques uns. »
« Comme papa. Sauf que lui, il a les coloriages à l'autre bras. »
Et pour me le prouver, elle a joint le geste à la parole en soulevant le t-shirt d'Harry.
« Em ! »
« Tu peux lui montrer la sirène pipeuplait ? »
« Ok. »
Ça avait l'air de lui coûter les yeux de la tête de faire ça. Lorsqu'il a relevé sa manche, j'ai pu détailler la collection impressionnante qui longeait sa peau. J'avais déjà vu ses tatouages lorsqu'il était venu me chercher à l'aéroport, mais je n'avais pas trop regardé, de peur qu'il ne me prenne pour un malade.
« Wow. Tu... T'en as beaucoup. »
Il a ri faiblement avant de me répondre « Je ne sais pas lequel d'entre nous en a le plus. »
Pas faux. À force, je ne savais même plus combien j'en avais. C'était assez drôle quand on y pensait. Un timide comme moi qui n'arrivait pas à s'exprimer, mais qui laissait parler son corps à la place. J'étais peut-être mazo dans le fond. La sensation qu'on ressent lorsque l'aiguille entre dans la peau... C'était une douleur agréable qui envahissait tout mon être, j'y étais accro. Niall étais désespéré à chaque nouveau tatouage. Il ne comprenais pas. Pour lui, cela revenait à payer pour souffrir. Il ne connaissait pas cette petite satisfaction que l'on éprouve lorsque le travail est terminé.
« Il veut dire quoi celui-là ? »
« Emma... Désolé Louis. »
« Non, non. Y'a pas de problème. Celui-ci, le compas, c'est pour représenter ma famille. Peu importe où je suis, ce que je fais où encore avec qui je suis, ils seront toujours là pour me guider. »
« Ohhhh. »
La petite a semblé émerveillée par mes propos. Elle me faisait rire, cette petite curieuse. Elle me rappelait lorsque j'avais son âge et que je suivais ma mère partout en lui demandant à quoi ceci et cela servait. Les questions au sujet de mes tatouages ont fusé à toute vitesse. J'ai lancé un regard désemparé vers Harry pour lui faire comprendre que j'étais perdu. Il est venu me libérer en attrapant sa fille pour la balancer sur son épaule.
« On va s'habiller, petite fouineuse ! Louis, je voudrais te montrer le trajet pour aller à l'école. T'es partant ? »
« Oui, oui. Bien sûr. »
C'était dingue la complicité qui existait entre ce papa et sa fille. Leur relation était vraiment touchante. Ils étaient devant moi, main dans la main et fredonnant les paroles d'une chanson que je ne connaissais pas. Une espèce de comptine anglaise. On n'avait jamais eu ce genre de trucs à la maison, mes parents trouvaient que ça abrutissait les gosses. Parce que c'est vrai que de faire écouter du Saxon (4) à un enfant de trois ans, c'était mieux. Quelle étrange perception de l'éducation. Harry a jeté un coup d'œil dans ma direction pour vérifier que je ne m'étais pas perdu. Je les suivais de très près, je n'avais pas envie de merder lorsque je devrais y aller par moi-même. J'analysais tout ce qui se trouvait autour de nous. Cette petite ville était vraiment très plaisante.
J'avais l'impression que beaucoup de familles habitaient ici, les cris des enfants dans les jardins se faisaient entendre. Notre balade jusqu'à l'école n'était pas très longue. Concrètement, j'aurais dit une dizaine de minutes. Je m'en réjouissais d'avance, moi qui avais peur de devoir prendre les transports. Vous devez penser que j'étais un vrai froussard. Vous avez raison. J'avais peur de pas mal de choses. Et c'est aussi pour ça que je misais autant sur cette expérience. Pour me prendre en main. A vingt-deux ans, on est capable d'aller au restaurant et de commander auprès du serveur ce que l'on désire manger. A vingt-deux ans, on est capable de prendre le métro sans avoir la trouille que quelqu'un nous aborde. A vingt-deux ans, on est capable de demander son chemin dans la rue car on est perdu. Bah pas moi, je n'y arrivais pas. J'étais paralysé par la peur.
Tétanisé. Bloqué.
J'étais encore dans mes pensées alors qu'Harry et moi, nous nous sommes installés sur un banc à disposition des accompagnants dans l'aire de jeux du petit parc près de l'école. J'ai senti son regard se poser sur moi, mais je n'ai amorcé aucun mouvement de tête. Il a claqué des doigts devant mon visage.
« Harry appelle Louis. »
« Pardon. »
« T'as l'air d'être souvent dans la lune. Je me trompe ? »
Sa remarque m'a fait sourire.
« Non, tu as raison. Je me pose beaucoup de questions, constamment. »
« Ça ne fait pas grand bien de s'installer dans les rêves en oubliant de vivre. »
« Vraiment ? Harry Potter ? »
« Bah quoi ? Je suis fan. »
« J'pensais pas. Enfin, je n'aurais jamais deviné. »
« J'suis pas si vieux que ça. »
« C'est vrai. Mais quand je pense que tu es devenu papa à l'âge que j'ai actuellement, ça me fait tout drôle. »
« J'étais jeune, à l'époque, » a-t-il déclaré en prenant une voix de grand-père.
Je l'ai regardé. Il a fait de même. Et on a éclaté de rire face à cette piteuse interprétation. Comme quoi, on ne peut pas tout avoir. Quand il s'agissait d'humour, Harry avait du mal à s'y prendre. Je ne lui en voulais pas, il était tellement... séduisant quand ses fossettes se creusaient. Putain, j'aurais aimé le croquer. Fallait qu'il arrête de faire ça. Mes joues me brûlaient la peau. Je devais me ressaisir, souffler un coup et parler. Me concentrer sur la conversation et non sur son visage.
« Tu voulais un français où ça n'avait pas d'importance ? »
Sortie de nulle part, cette question faisait partie de celles que je voulais lui poser.
« Honnêtement, j'avais une préférence pour un français. Mais, si je ne t'avais pas trouvé, j'aurais pris n'importe quelle nationalité. J'adore la France, mais je ne comprends absolument rien à cette langue. »
« Elle est très compliquée. »
« C'est sûr ! Le pire que je ne pige pas, ce sont les genres. Pourquoi une table est-elle au féminin en français ? Et pourquoi un verre est-il au masculin ? »
« Alors là... Même pour nous, les français, ceci est un mystère. »
« Tu pourras nous apprendre quelques mots ? »
« Bien sûr. Tu veux en connaître un en particulier ? »
Il a pris un bout de papier qui traînait dans sa poche ainsi qu'un stylo. Sans déconner. Qui se balade avec un stylo dans son jeans ? J'ai attrapé le mot... Friend.
« Alors c'est simple. On dit AMI. »
« Aymi. »
« Presque, mais t'es sur la bonne voie. »
« Merci ne de pas te moquer. Alors ? »
Colgate était revenu.
« Alors quoi ? »
« Tu veux être mon ami ? »
Comment résister à cette tête attendrissante qu'il me servait ?
« Bien sûr. »
J'ai passé une bonne partie de l'après-midi à décorer la chambre à ma façon. Quelques posters par-ci, quelques photos par-là. Harry se moquait bien de ce que je pouvais y faire. Ce qu'il souhaitait, c'était que je ne fasse pas de trou dans les murs. J'ai fièrement fixé le dessin de Nathan à côté de ma tête de lit, ainsi que le petit mot de Sara.
Harry et Emma étaient partis faire des courses et j'étais allongé sur le sol, heureux d'avoir une moquette. Et je dessinais. Rien de concret : des petits symboles qui n'avaient pas de sens. Parfois, je pouvais me lancer dans un dessin pendant des jours, en essayant de faire quelque chose qui me plaisait. Puis à d'autres moments, c'était simplement du gribouillage, pour passer le temps. Je cachais tout ça dans un petit cahier, planqué bien au chaud sous mon oreiller.
Harry m'a envoyé un texto pour me signaler que nous irions au restaurant le soir. Il avait convié sa sœur, Rebecca, car il voulait qu'elle fasse ma connaissance. C'était un genre de dîner de bienvenue. Cette sollicitude m'a profondément touché. Il avait l'air d'être vraiment quelqu'un de prévenant et d'attentionné.
Perdu dans mes pensées, j'ai attrapé ma serviette et me suis dirigé vers la salle de bain. J'ai balancé la musique (5) en haut parleur sur mon téléphone et suis entré dans la cabine de douche. Je chantais comme un pied, mais je m'en foutais, j'étais tout seul dans la maison. Les gouttes d'eau étaient mon public, le pommeau était devenu mon micro et je m'égosillais comme un cochon qu'on égorge. Et putain, ça faisait du bien. J'avais peur de ne plus avoir la possibilité de faire ça en arrivant là-bas, mais ils partaient souvent tous les deux durant les week-ends. Alors j'ai laissé mon imagination et ma voix remplir l'espace.
***
Rebecca était vraiment une femme charmante. J'ai adoré rencontrer cette personne très intéressante. Elle était discrète, aimable et intelligente. Elle avait le même sourire qu'Harry et c'était incroyable comme on pouvait ressentir qu'elle était plus âgée que lui. Elle n'avait pas arrêté de lui demander si tout était prêt pour la rentrée d'Emma. S'il avait pensé à l'inscription à la cantine, aux clubs après l'école, aux uniformes qu'il fallait se procurer, si son cartable était bien blindé en fournitures... Harry avait répondu par des « Mais oui.» en levant les yeux au ciel. Comme s'il essayait de lui dire « ça va... Je gère. »
Je les avais regardés discuter, complètement attendri par leur échange. Rebecca m'avait posé plein de questions concernant ma famille. Et honnêtement, ça m'avait plu car j'aimais quand les gens s'intéressaient sincèrement à ta personne. Ce n'était pas de la curiosité mal placée, simplement l'envie d'en savoir davantage sur moi. Elle m'avait mis tellement à l'aise que j'avais réussi à parler sans trop de difficulté et à utiliser son surnom, Becky. J'ai su qu'elle se débrouillait dans ma langue maternelle, alors on a bavardé un peu en français. C'était drôle de voir Harry, les sourcils froncés, qui essayait de comprendre ce que l'on racontait. Il ne connaissait que « Bonjour » et « Merci » alors évidemment, ce n'était pas clair pour lui. Il n'a pas arrêté d'avoir ce petit sourire au coin des lèvres qui me faisait frissonner.
Comme ce soir-là. On était tous les deux dans le salon, Emma était au lit depuis une bonne heure et nous lisions chacun de notre côté. Je ne savais pas ce qu'il avait, mais il me lançait des petits coups d'œil de temps en temps, et... ça me déstabilisait. J'ai tenté d'éviter de rougir, mais mon livre était légèrement moins passionnant que le visage d'Harry.
« Si je mets un peu de musique, ça va te déranger dans ta lecture ? »
« Pas du tout. »
« Enfin, sauf si tu préfères regarder la télé ? »
« Alors là... Non. La télé, ce n'est pas forcément ma tasse de thé. »
Il a ri et je l'ai regardé sans comprendre pourquoi.
« Vous dites ce genre de truc en France ? »
« Euh, oui. Pourquoi ? C'est mal ? »
« Non, non. C'est une expression anglaise à la base. »
« Ah... Je ne savais pas. Je dormirai moins bête ce soir ! »
Et il a continué de se marrer tout en branchant sa platine. Ahhhh. J'étais ravi ! Il avait un tourne-disque. Ce mec me plaisait définitivement. Enfin, en tant que personne, ce qu'il représentait. Il me... Rohhhh. Je devais mettre mon cerveau sur pause pour profiter de l'instant. Quand la musique (6) s'est lancée, j'ai fermé les yeux et j'ai soupiré d'aise. J'aimais tellement ce groupe.
« Tu n'aimes pas ? »
« Oh que si ! » ai-je répondu avec un peu trop d'engouement.
« Parce qu'on a un peu parlé musique mais je ne savais pas si tu aimais ce groupe. »
« Dès qu'il y a du Rock, j'suis fan. »
« Bon à savoir. »
Après avoir louché trois fois sur la même phrase, j'ai décidé d'abandonner Harry et de retrouver mon lit. J'étais un dingue de lecture mais quand mes yeux s'acharnaient à rester ouverts, ça m'énervait plus qu'autre chose.
« Bonne nuit. »
« Bonne nuit Louis. »
Bordel de cul... Entendre mon prénom sortir de sa bouche, c'était déjà un supplice mais s'il ajoutait du français dans ses phrases, j'allais vraiment avoir du mal à me contenir. Il me fragilisait à un point inimaginable. C'était pas possible de craquer autant sur quelqu'un en si peu de temps, si ? J'ai fait le moins de bruit possible en montant les marches pour rejoindre ma chambre. Pyjama, brossage de dents et je me suis glissé sous les couvertures. Je commençais à m'endormir quand j'ai entendu mon portable vibrer. Il avait quoi celui-là ? Un mail d'Harry.
Ok, je devais rester calme, respirer. Je n'y suis pas arrivé, mon cœur s'est emballé.
Objet : Un peu de Rock.
De : Harr.emaa@lalapop.com 23:37
A : Louiis-N@yeahoo.com
Louis,
Si t'es un amateur de Rock comme tu prétends l'être.
Voici pour moi, la première chanson qui a lancé ce style.
Bonne nuit, à demain.
Harry.
Amusant. Je me suis bidonné en découvrant le titre. Il avait été fouiller dans les anales pour avoir ce truc ou quoi ?
Objet : RE - Un peu de Rock.
De : Louiis-N@yeahoo.com 23:46
A : Harr.emaa@lalapop.com
Harry,
Non mais... C'est quoi ça ?
Tiens, je t'envoie la première chanson dont je me souviens.
Je n'étais pas très grand et je me rappellerai toujours d'avoir regardé mes parents jeunes, heureux et amoureux, danser dessus. (Ils sont toujours heureux et amoureux, mais plus très jeunes ! Ne le répète pas.)
Bonne nuit à toi aussi.
Louis
J'ai coupé le son de mon téléphone et me suis endormi, le sourire aux lèvres.
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Pair-ou-Impair
General FictionLouis, jeune homme français de vingt-deux ans, est perdu professionnellement et ne sait plus vers quelle voie se tourner. Rien ne l'inspire et tout ce qu'il entame finit par l'ennuyer. Suite à des retrouvailles avec une ancienne amie revenant d'un a...