Première Partie

65 16 57
                                    

Quel bonheur devait-il ressentir? Lui, ce vieil homme que la vie avait comblé d'aventures, de rêves et de joies de toutes sortes. 

Le vent soufflait dans ses longs cheveux que le temps avait blanchis. S'il avait vécu ses premiers cheveux blancs comme une trahison de son corps, il avait accueilli les suivants comme de vieux amis symbolisant les aventures qu'il avait vécues. Il se plaisait à raconter à qui voulait bien l'entendre que chacun d'entre eux en représentait une, et lorsque sa chevelure eut achevé de se parer de gris, il y vit une vie bien vécue.

En observant les vagues se jeter et se retirer de la plage, il se remémora de ce qu'avait été son existence. Il avait été chanceux d'avoir celle qui devait très certainement être la plus bienveillante et aimante des mères. Elle l'avait toujours poussé à suivre ses rêves, toujours dit qu'il n'en existait pas d'insaisissable. Pour tout dire, s'il avait du la décrire d'une phrase, il aurait certainement répéter ces mots qu'elle lui avait prononcé alors qu'il commençait à sortir de cette période sacrée qu'était l'enfance.

"N'oublie jamais ce sont les rêves d'enfant qui constituent ce qu'il y a de plus précieux à un être humain, s'en éloigner en grandissant c'est se trahir d'une certaine manière, et cela peut être une déchirure, alors tu devras faire très attention mon coeur car tu en possèdes bien plus que les autres."

Il avait pris bien du temps à comprendre ces mots. A vrai dire il n'avait jamais su si cela venait vraiment d'elle ou si elle l'avait juste entendu quelque part et répété, mais qu'importait la vérité, il avait choisi ce jour-là de ne jamais se trahir ou se faire une raison.

C'était cette conviction en ses rêves tout au long de sa croissance qui l'avait mené, lui le petit garçon qui avait toujours la tête dans les nuages à devenir un jeune adulte aspirant à un métier d'aviateur, après tout, si rien ne lui était impossible, pourquoi ne pouvait-il pas viser les cieux eux-même? Évidemment il n'avait pas fait le choix d'être de ces pilotes d'avion qui volaient d'une grande ville à l'autre, non, cela ne l'avait jamais tenté, il y avait, pour lui, dans cette manière de toucher le ciel bien peu de magie et d'aventures. Ce qu'il visait, c'était d'être un aviateur semblable à ceux des anciens films d'aventure, eux qui emmenaient dans un vieil appareil les aventuriers dans les régions les plus reculées et les îles les plus abandonnées, faisant chaque jour des voyages n'ayant rien de semblable à ceux de la veille.

Cette mentalité l'accompagna lorsqu'il prit la décision de passer le seuil de la porte, celle de sa maison d'enfance, et cela quelques jours après avoir eu son diplôme d'aviateur, il était parti de chez sa mère, avec un gros sac sur le dos et l'assurance des plus arrogants comme seuls bagages.  Il se rappelait encore de la fierté dans les yeux de ses yeux lorsqu'elle lui fit un dernier baiser sur le front en guise d'au revoir, et de la tendresse de son geste maternelle arrangeant son chapeau d'aventurier sur sa tête, avec du recul il se faisait rire à avoir un jour arboré un tel couvre-chef lui qui ne l'était que de coeur. 

Et ce fut vers des paysages gorgés de soleil et berceaux de tant d'aventures qu'il partit, le sourire aux lèvres à l'idée qu'il était en marche pour être un rouage permettant aux audacieux de partir pour de grandes histoires. Evidemment il le savait, ces aventures ne seraient pas vraiment les siennes, mais la seule idée de pouvoir participer à celles d'autres personnes le remplissait de joie.

Durant de longues années, il vécut épanoui dans ces paysages à couper le souffle. Il rencontrait chaque jour des personnes plus aventurières et téméraires que la veille, les conduisait à destination en accueillant les conditions météorologiques les plus extrêmes comme un jeu auquel il prenait plaisir à jouer. Mais ce qu'il préférait vraiment dans son métier, c'était sans nul doute de les écouter,  à l'aller, lui dire toutes leurs attentes, et tous leurs objectifs, qui n'étaient surpassés en excitation et en bonheur que par ce qu'ils lui contaient sur le chemin du retour, tous leurs exploits et anecdotes. Son péché mignon résidait dans le fait d'inventer des légendes acadabrantesques sur les endroits où il les emmenait, tout cela uniquement pour apercevoir cet éclat d'excitation se mettre à briller dans leur prunelles.

Il vécut plusieurs merveilleuses années de cette manière.

Et lorsqu'il croyait qu'il n'était pas possible d'être plus heureux au monde que ce qu'il était, il la rencontra. Elle était arrivée devant sa maison, une bâtisse rustique servant également à accueillir les clients et à entreposer le matériel, et lorsqu'il avait vu les larmes couler sur ses joues, il n'avait su dire ce qu'il avait vu à ce moment-là, mais il s'était fait la promesse qu'il allait apaiser son coeur. Sa détresse l'avait touché bien plus qu'il ne l'aurait cru. Son père avait pris un avion de la concurrence le matin même, et avait maintenant plusieurs heures de retard sur l'horaire de retour annoncé. Elle craignait le pire, d'autant plus qu'elle n'arrivait pas à avoir de nouvelles du pilote et que le ciel avait été capricieux toute la journée. Elle avait bien évidemment commencé par appeler les secours, mais ils ne pouvaient pas aller à sa recherche avant le lendemain, le temps étant dangereux, ils considéraient que le risque était trop important, surtout qu'ils ne pouvaient pas être sûrs qu'il s'agissait d'une disparition. Cela ne faisant que quelques heures.

Cet après-midi là, ils ne prirent pas non plus son avion. Ce n'était pas fondamentalement pour les mêmes raisons. En effet en voyant ses yeux humides il était prêt à la croire sur parole pour la disparition, et puis il se jouait du mauvais temps. C'était ce côté téméraire et dangereux que sa mère appelait de la bêtise mais que lui nommait "un moyen de vivre pleinement, vivre au point d'en mourir". Cependant, s'il avait dû y aller elle l'aurait certainement suivi, et cela aurait été bien trop dangereux. C'était une chose de risquer sa vie, mais celle d'un autre c'était hors de question. De plus, cela aurait été vain, il n'aurait pas pu le repérer par ce temps, même en passant au-dessus de lui pendant qu'il s'agitait dans tous les sens.

En lui expliquant qu'il ne pouvait pas et en tentant d'en exposer les raisons, il vit son visage virer au désespoir puis, à sa grande surprise, à la colère. Il ne se rappelait pas des mots exacts qu'elle lui avait dit à l'époque, mais il était presque sûr que les termes "lâche", "sans coeur", "incapable" et "égoïste" y passèrent. Et lorsqu'elle sortit en trombe de chez lui, il se rendit compte qu'il avait appris quelque chose de nouveau: les insultes avaient bien moins d'impact lorsqu'elles étaient dites par des personnes en pleurs et au bord de la détresse. Lorsque la personne qui s'était mise à te crier des noms d'oiseaux était en larmes, ton cerveau se retrouvait alors bien trop occupé à compatir pour être vraiment blessé.

Le lendemain matin, le ciel s'était dégagé et les secours purent aller à sa recherche. Il les aida d'ailleurs, se sentant désormais concerné par cette histoire il était allé leur proposer de l'aide. Et bien qu'il ne soit pas celui qui le retrouva, le père de la jolie inconnue fut retrouvé et secouru avant la tombée de la nuit. Son pilote ne l'avait pas abandonné mais avait eu des problèmes de moteur liés à la tempête au moment de venir le chercher, et avait dû se poser à plusieurs kilomètres de leur point de ralliement. Et si la nuit avait été dure pour les deux, ils allaient désormais bien et avaient été conduits à l'hôpital pour vérifier que tout était en place.

Cette histoire s'étant bien terminée, il avait tourné la page, se disant que ce chavirement du côté du cœur, qu'il avait ressenti en la voyant pour la première fois, n'était tout simplement pas destiné à avoir quelconque épanouissement.

C'était donc avec surprise qu'il la vit passer le pas de sa porte une semaine plus tard, s'excusant de son comportement et de ses mots passés, son inquiétude envers son père lui ayant fait perdre toute raison et politesse. Et ce fut ainsi, sans qu'il n'ait le temps de vraiment le voir venir, qu'ils finirent par déjeuner ensemble, elle le lui offrit en guise d'excuse. Et de ce rendez-vous, en découla un autre, et un autre. Et bien vite ils devinrent inséparables. S'ensuivit un mariage des plus romantiques et deux petits jumeaux cinq ans après.

Il vécut chaque année dans l'amour, le bonheur et la magie des histoires qu'il ne cessait de raconter aux trois amours de sa vie.

Et sur cette plage il se mit à rire, à rire de cet univers qui avait donné tant de bonheur et de chance à l'idiot qu'il était, de l'avoir tant gâté que sa pire déception, en faisant le point, était que lorsque son amour pour sa femme avait été fulgurant, elle lui avait avoué qu'il lui avait bien fallu trois rendez-vous pour commencer à tomber sous son charme, et que c'était au dixième qu'elle avait décidé de le garder près d'elle pour toujours.

Il y avait pas à dire, il avait vraiment été chanceux.

Haut dans les cieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant