Seconde Partie

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Quelle paix devait-elle ressentir? Elle, cette femme ayant reçu de la vie un esprit vif et créatif, et un coeur aussi grand qu'il en était humainement possible.

Cela faisait une bonne heure qu'elle s'était assise en haut de cette falaise, observant les vagues se jetant sur les hauts rochers.

Dans ses mains une boîte, sa boîte à souvenir comme elle l'appelait, contrairement à ce que l'on pourrait penser, c'est-à-dire qu'il s'agissait d'une boîte pleine de souvenirs, elle consistait en réalité en une simple boîte qui l'aidait à se souvenir, une boîte bien physique qui lui prouvait que cela avait bien existé. 

Durant l'heure qui s'était écoulée ses mains ne s'étaient détachées de cette boîte qu'une à la fois, et cela uniquement pour remettre derrière l'une de ses mèches blondes que le temps avait commencé à parsemer de blanc.

Elle se rappela de toute sa vie, de son enfance, de l'amour que lui portaient ses parents, de la magie qu'ils avaient insufflée dans chaque histoire, et de leur enseignement sur l'importance des rêves et des souvenirs. Peut-être, pensa-t-elle, peut-être les avait-elle trahis après tout, car ses souvenirs, elle ne pouvait trop s'y accrocher. Cela lui faisait trop mal et l'emprisonnait, car à chaque fois qu'un bonheur, même des plus passagers, faisait signe d'apparaître ils se ramenaient à son esprit. 

Alors lorsque la troisième année de cet enfer personnel s'acheva, c'est là qu'elle commença à les trahir, elle ne le put cependant pas totalement, ainsi elle n'enfouit pas totalement au plus profond d'elle-même ces derniers, cependant elle les compléta, continua et modifia de manière à les rendre plus supportable, plus heureux. 

Parfois, lui venait un instant de lucidité où elle réalisait combien ses parents auraient été peinés de la voir agir comme cela. Mais à ces instants elle se convainquait qu'ils l'avaient, après tout, bien trahi en premier.

Et puis qu'était-elle censée faire?

Que devait faire quelqu'un qui s'était donné pour mission de mettre des rêves et de la magie dans les vies de ceux qui l'entouraient?

Que devait faire quelqu'un qui avait enseigné à son fils que tout était possible et qu'il devait toujours croire en ses rêves?

Que devait faire quelqu'un dont le fils, suivant les mots de sa mère, avait conclu qu'il pouvait voler, lui qui en rêvait ?

Que devait faire quelqu'un dont le fils d'à peine huit ans avait pris son envol du haut du toit pour ne jamais se relever ?

Qu'était-elle supposée faire ?

Comment pouvait-elle se satisfaire de huit ans de souvenirs de l'être qui a tant compté, et qu'elle a perdu par sa faute ?

Comment huit années pouvaient remplacer une vie volée?

Quel mal cela pouvait-il faire aux autres qu'elle s'imagine qu'il avait pu grandir, faire des études, partir s'envoler à sa manière comme il en rêvait, trouver l'amour et avoir des enfants à l'autre bout du monde, et le plus important avoir une vie heureuse?

Et si elle n'avait pas la réponse à la dernière question elle avait aujourd'hui réponse à toutes les autres. Ce qu'elle pouvait faire? Vivre. C'était là un beau programme. En perdant son fils, elle avait perdu son mari, son mariage n'ayant pas supporté le drame. Mais cela faisait maintenant des mois qu'elle avait rencontré quelqu'un, cela avait été un véritable coup de foudre, et pour la première fois, elle avait réussi à avoir certains moments de bonheur durant lesquels les souvenirs douloureux ne revenaient pas. À d'autres moments ils étaient là, et son nouvel amour la consolait, toujours, il avait écouté le récit de ce drame, avait vu les photos de ce qu'il était, et même entendu son futur inventé. Jamais il ne l'avait jugée, il avait été attentif et attentionné, lui avait conseillé d'aller voir un professionnel pour en discuter.

Et c'était donc après des mois de soutien, et de travail personnel, qu'elle se retrouvait sur cette falaise, la boîte contenant les cendres de son fils dans les mains. 

Elle se leva, l'ouvrit et libéra ces cendres qui allèrent dans le ciel au gré des courants d'air.

Elle ne put s'empêcher de sourire en voyant le spectacle. Après tout, il avait réussi à s'envoler à sa manière dans les cieux.

Et en libérant ses cendres, elle lui fit ses adieux à tout jamais. Pas à son petit garçon, son Dimitri, lui resterait toujours dans son coeur et il lui tarderait toujours de le rejoindre, mais à celui qu'elle s'était inventée de toutes pièces. C'est à ce pilote sur sa plage, riant à l'univers, qu'elle fit ses adieux en regardant les cendres de son bébé partir haut dans les cieux.

Haut dans les cieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant