Le plus beau jour de ma vie? {Nouvelle Noire}

Le plus beau jour de ma vie?

   Lumineuse. C'est le seul mot que je trouve pour La décrire. Je La vois s'avancer vers moi, au bras de son père, magnifique dans sa longue robe blanche ornée de dentelle. Je remarque à peine les demoiselles d'honneur sautillantes à deux pas d'Elle, tenant chacune un petit panier tressé rempli à ras-bord de pétales de rose écarlates, qui font pâle figure aux côtés de ma fiancée et de son port de reine.

   Elle s'approche de moi à pas lents, et enfin, arrive devant l'autel. Elle tourne vers moi son visage émerveillé, encadré de mèches sombres semblables à de petits ruisseaux d'eau noire. Je m'attarde dans la contemplation de ses lèvres rouge rubis, qui m'attirent mystérieusement. J'aurais tant envie de les embrasser...

   Ce n'est que lorsque j'entends le prêtre m'interpeller que je me décide à émerger de ma béatitude. Je fais mine de me reconcentrer, afin de ne pas agacer plus qu'il ne l'est déjà celui qui va nous unir jusqu'à, je cite: «que la mort nous sépare». Je trouve cela étrange, tout de même, que l'on parle de mort lors d'un jour marqué par l'amour...

   Malgré mes efforts pour rester attentif, mes pensées s'enchaînent, ne me laissant aucun moment de répit. Mon esprit divague, je n'arrive plus à écouter ce qui se dit autour de moi...

   Clignant des yeux, je reprends brusquement conscience du monde réel, alors que ma future-femme est déjà en train de déclamer d'une traite ses vœux de mariage, sans la moindre once d'hésitation, de la même manière que l'on récite une poésie apprise par cœur.

   Je peste mentalement contre mon inattention, avant de me rendre compte que  le prêtre me regarde de travers. C'est alors que je réalise que le silence s'est fait dans l'église et que, mis à part quelques enfants en bas âge qui jouent sans un bruit derrière les bancs, tout le monde paraît attendre quelque chose de moi.

   Mais oui! Les vœux! Bafouillant, rougissant, j'arrive tant bien que mal à marmonner une suite de mot qui semble avoir un sens puisque je vois ma dulcinée me sourire d'un air approbateur, les joues légèrement colorées de rose.

   Le prêtre reprend la parole, après avoir cessé de me lancer des regards lourds de reproches, et prononce enfin les mots tant attendus:

   - Mlle Camille Parwis, voulez-vous prendre comme époux Mr Éric Bultina ici présent?

Ma fée lumineuse, plantant ses yeux brillants dans les miens, répond d'une voix rendue tremblante par l'émotion:

   - Oui, je le veux.

   Me concentrant de toutes mes forces pour ne pas sombrer dans l'océan déchaîné de pensées qui cherche à m'attirer à lui par tous les moyens, je n'écoute que d'une oreille la suite de la cérémonie.

   - Mr Éric Bultina, voulez-vous prendre pour épouse Mlle Camille Parwis ici présente?

   Un instant, j'ai peur que mon corps me fasse défaut, que l'émotion qui me serre la gorge à m'en étouffer m'empêche de parler, mais finalement, mes lèvres se meuvent d'elles-mêmes, laissant profiter à tous ces mots décisifs:

   - Oui, je le veux.

   Instantanément, le sac de nœud que forme mes cordes vocales se dénoue, me laissant respirer paisiblement de nouveau.

   - Par le pouvoir qui m'est conféré, je vous déclare mari et femme, jusqu'à ce que la mort vous sépare! Nous allons maintenant procéder à l'échange des alliances.

   Les demoiselles d'honneur se précipitent, nous apportant avec empressement un encombrant coussin de la même teinte que leurs pétales de rose, sur lequel trônent deux bagues étincelantes. J'en saisis une, et la passe à l'annulaire de la main gauche de ma bien-aimée, qui fait de même pour moi avec l'autre quelques instants plus tard.