partie 1

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Je n’arrive pas à lire les livres, à voir entre leurs lignes ce qui est dit par les auteurs, les penseurs. Je ne vois que « elle », son visage,  ses paroles d’habitude, ses lettres écrites méchamment sur ses papiers ridés et moitié déchirés.

Elle était tout le temps présente, ici près de moi. Sans que je le sente elle est devenue l’oxygène que je respire, le cerveau avec lequel je pense, les yeux qui me font voir le monde. Sans que je le sente, je me noyais dans ses habitudes, son monde est devenu le mien, les vagues de son caprice m’affolent chaque jour et chaque  fois. Elle part et revient sans prévenir quelqu’un, et sans parler à quelqu’un, sa voix remplit mon entourage jusqu’à qu’il affranchit mon corps et mon cœur. Souriant je reste à ma place regardant mon livre et jetant des regards sur elle, sans plus lui parler, et sans qu’elle me parle, je suis en discussion avec elle, j’essaye de la comprendre sans qu’elle m’aperçoive. Elle parle et elle parle sans arrêt, avec les papiers, avec son stylo, avec la table et les chaises, avec des personnes qu’elle connait ou pas, elle se déplace ici et là-bas, parlant de ceci et de cela. Des fois quand elle me pose une question je lui réponds sans utiliser ma voix,  elle me souri et repart, puis elle revient avec son stylo et son papier rempli de mots, des phrases incomplètes, des petits dessins, et elle le pose devant moi. Je lui écris des choses et elle me comprend, puis elle s’assoit devant moi, me regardant avec ses yeux noirs, me souriant encore, elle écrit des choses aussi dans son papier, des choses incompréhensibles pour les autres sauf pour moi. Devant elle je suis timide, fragile, transparent, je n’ose plus la regarder les yeux dans les yeux. Quand elle m’approche je transpire, je m’éloigne, je serre mon stylo et je détourne mon regard vers mon livre  jusqu’à je me sens en sécurité.

D’habitude je parle beaucoup avec mes professeurs et mes camarades, autant que je lis des livres j’ai beaucoup de choses à dire, alors je m’exprime librement et à haute voix.je partage souvent mes lectures et mes vécus avec les autres sans qu’ils soient intéressés à m’entendre. Mais depuis qu’elle est là, je ne peux rein dire aux autres, les autres deviennent intéressés à elle. Des fois je sens la jalousie envers elle, mais  de toute façon, même au passé ils ne m’écoutaient pas, ils s’ennuient avec mes histoires et mes paroles que j’ai emprunté des autres. Avec elle, ce que je dis ou je lis, n’a pas d’importance, avec elle tout est nouveau, rafraichissant et inattendu. Elle représente pour moi l’invisible qui se cache derrière le visible, l’inconnu qui avec le temps deviendra le connu, la lumière qui donne de l’ombre.

Je suis le philosophe de la classe, c’est elle qui m’a offert  ce nom. Le jour où nous étions en classe, ils bavardaient, ils papotaient et elle se fixait au centre des discutions. Je n’entendais que des voix confuses, seules ses mots me touchaient à l’oriel ; je les recevais avec toute ma vigilance. Elle donnait l’impression qu’elle connait tout, et que ses paroles ne manquaient de sagesse, et pourtant je n’y trouve aucun raisonnement. Des phrases incomplètes, des propos dispersés que les autres acceptaient comme des lois intangibles. J’avais une envie folle d’interrompre leur  harmonieux rassemblement, pour installer mes idées, pour installer la logique. Mais, puisqu’elle est là-bas je ne peux rien devant elle. Alors j’ai préféré rester ici dans mon coin, seul, comme un étranger qui semble ne pas avoir la même langue qu’ils ont. 

******** à suivre :

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 02, 2021 ⏰

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Le philosophe de la classeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant