Chapitre 8 : La démission

123 13 0
                                    

Olga s'approche de nous. Son visage s'est adouci. Au creux de mes bras, mon amante tremble. J'ignore si les battements qui résonnent dans ma poitrine sont ceux de mon cœur ou celui de Laura. Je fixe la recruteuse dans l'espoir qu'elle nous donne une réponse, mais elle n'en a malheureusement aucune à nous proposer. Tout ce qu'elle peut faire, c'est nous parler de la réalité, sans nous expliquer comment nous dépêtrer de ce merdier.

– La coupe du monde est terminée, déclare la recruteuse. Nous avons gagné, et nous aurons bientôt de nouveaux matchs, mais en attendant, vous retournerez dans vos clubs.

Nadia joue pour Lyon, tandis que Laura et moi sommes à Wolfsburg. Nous ne sommes pas dans les mêmes clubs, et je me rends soudain compte que c'est une bonne chose. La capitaine aurait certainement tout tenté pour nous renvoyer. J'espère seulement que ce ne sera pas le cas en Allemagne. Olga nous observe tour à tour, mon amante et moi.

– Vous restez titulaires.

– Pardon ! s'exclame Nadia.

Incapable de rester en place, elle bondit sur ses pieds une nouvelle fois. Ses yeux lancent des éclairs. Elle s'approche d'Olga, un index menaçant pointé en direction de la sélectionneuse. Nullement impressionnée, celle-ci ne bouge pas.

– Je suis la capitaine ! Tu dois m'écouter !

– Je suis la sélectionneuse. J'ai le dernier mot.

– Je démissionne !

D'un geste, Olga désigne la porte de la salle de réunion. Nous fixons Nadia. Toutes les joueuses retiennent leur souffle. J'ai peur que le départ de la capitaine entraîne celle des filles qui la soutiennent. Je me redresse.

– Attendez, c'est ridicule ! Nadia, on pourrait...

– Rien du tout ! Le choix est fait, Marie ! Visiblement, l'Homme pense supplanter Dieu, mais vous vous en mordrez les doigts ! Bon courage pour gagner sans moi !

Mon cœur rate un battement tandis qu'elle passe la porte à grands pas. Ses talons claquent sur le sol, semblant écraser mon organe un peu plus à chaque fois. Dans mes bras, Laura se recroqueville en secouant la tête. C'est trop pour elle, trop pour nous. Je caresse doucement ses cheveux tandis que nos coéquipières nous observent.

– Personne n'est irremplaçable, déclare fermement Olga, aucune d'entre vous. Même les joueurs les plus célèbres peuvent être supplantés. Si vous voulez suivre le même chemin que Nadia, je ne vous retiens pas, mais demandez-vous alors pour quoi vous passerez auprès des médias. Retour ici dans une heure avec celles qui veulent rester. Laura, Marie, venez avec moi.

Sans attendre de réponse, elle nous fait signe de la suivre. Les joueuses échangent des regards incertains. J'aide mon amante à se relever. Elle reste accrochée à moi, et ne me lâche que lorsque ses jambes redeviennent assurées. La sélectionneuse nous attend dans le couloir. Laura cherche ma main. Je serre ses doigts entre les miens pour la rassurer. Je suis là, je ne pars pas. Elle me lance un regard reconnaissant. En silence, nous suivons Olga dans les couloirs de l'hôtel.

Elle nous mène dans les étages, jusqu'à la chambre qu'elle a prise pour elle toute seule. J'esquisse un sourire en y retrouvant le bazar de notre sélectionneuse. Ses sacs sont ouverts. Des feuilles jonchent le sol, et je ne parle même pas du lit double qui a disparu sous les livres. On dirait qu'un ouragan est passé dans la chambre, à se demander si la femme a dormi ici cette nuit. Elle referme la porte dans notre dos avant de commencer à empiler ses affaires pour les pousser.

– Asseyez-vous.

Précautionneusement, Laura et moi obéissons. Il est hors de question d'abîmer ce qui se trouve ici. Olga reste debout devant nous. Elle soupire, son visage se détend. La sélectionneuse laisse la place à la femme, à l'amie que nous pouvons côtoyer lors des entraînements. Elle se frotte le front, fatiguée.

– Vous auriez pu m'en parler.

Je baisse la tête, contrite, rapidement imitée par Laura.

– Nous nous sommes promis de ne pas le faire, murmuré-je. Nous ne voulions pas créer de problèmes dans l'équipe.

– Cela aurait peut-être empêché tout ça... Ou au moins permis de nous préparer à tout ce battage médiatique, mais je comprends. Cependant, maintenant, ce n'est plus possible. Je n'ai rien contre votre amour, les filles, bien au contraire...

Laura secoue la tête.

– Je ne veux pas être une égérie ! As-tu été sur les internet ? Ils utilisent même le prénom de Marie comme un argument, comme si elle devait forcément se comporter comme la vierge parce qu'elle porte le même nom ! Ils font des montages avec sa tâche de naissance et...

Mon estomac se contracte. Combien de temps a-t-elle passé sur les réseaux sociaux ? Je n'ai rien vu de tout cela, je me suis préservée, quelque part, contrairement à elle qui continue. Elle aussi a reçu des photos de pénis, des messages qui prétextent qu'elle n'a jamais connu de mec assez bien et qu'il suffirait d'un seul pour qu'elle change.

Pendant son récit, le visage d'Olga se décompose. Elle hoche la tête, attentive. Ses poings se serrent au fur et à mesure que mon amante raconte, et même moi, j'ai du mal à me contenir. Mes doigts se serrent de plus en plus autour de ceux de Laura. J'inspire pour tenter de calmer les battements erratiques de mon cœur. Lorsque la joueuse se tait, je passe un bras autour de ses épaules, embrassant sa tempe. J'ai envie de la protéger. Soudain, partir en croisade contre tous ces cons qui l'ont blessé ne me semble pas si idiot que ça.

Après un silence qui semble durer une éternité, Olga prend la parole, mesurée :

– Je ne suis pas votre agent, commence-t-elle.

Comme si nous en avions un.

– Cependant, je pense qu'il ne serait pas idiot de faire une déclaration publique. Votre présence est recherchée par de nombreuses chaînes. Ils veulent vous entendre sur ce point, et vous avez beaucoup de choses à dire. C'est peut-être l'occasion de balayer un tabou bien trop présent dans le sport, vous ne croyez pas ?

– Est-ce qu'on a le choix ? demandé-je.

Parce que j'ai l'impression que ce n'est pas le cas. Ce baiser nous a propulsés au sommet. Un projecteur immense est braqué sur nous, et je sais que nous ne pourrons pas sortir indemnes de tout cela. J'ai peur que cela soit pire. Contre moi, je sens Laura se redresser.

– On va le faire, souffle-t-elle.

– Quoi ?

– Je ne veux pas être la nouvelle mascotte LGBT, Marie, mais il y a peut-être quelque chose à faire, tu ne crois pas ? Pas seulement pour nous, mais aussi pour toutes les personnes qui souffrent de leur homosexualité comme si c'était une maladie. Il est peut-être temps de dire que le sport, à l'instar de la société, s'ouvre à nous et devient tolérant.

Elle lève les yeux vers la recruteuse.

– Il suffit parfois qu'une seule personne parle pour que toutes les autres suivent.

– Laura...

– Je hais cette attention qu'on me porte, mais si je peux l'utiliser pour en faire quelque chose de bien, je suis partante.

Incapable de répondre, je l'observe. La détermination que je lis dans ses yeux est immense. Mon amante est une superhéroïne.

Pour un baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant