Psyché

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Le nouveau métro ouvert depuis bientôt trois mois me simplifiait énormément la vie, ça m'évitais de prendre le vieux bus pendant une demi heure tous les matins. Maintenant, il me suffisait d'un quart d'heure pour aller à la fac. Mes cours étant assez tard le matin, il n'y avait donc généralement pas beaucoup de monde dans les rames. 
J'aimais me retrouver plus ou moins seul dans ce métro vide. Je dis plus ou moins seul car je croisais tous les matins un autre garçon dans la même voiture que moi, toujours environ en face de là où je m’asseyais. 
J'avais pris l'habitude de l'inspecter en détails, ça faisait longtemps que je n'étais plus gêné que l'on puisse me voir faire. 
J'avais donc un quart d'heure pour le détailler avant de sortir à mon arrêt. Je le voyais parfois le soir mais il y avait souvent trop de monde à ces horaires là pour que je puisse l'apercevoir.
Il était toujours assis nonchalamment sur son strapontin, les jambes légèrement écartées mais pas assez pour qu'on l'accuse de manspreading. De toute manière, il y avait rarement quelqu'un pour pouvoir le critiquer. 
Son style correspondait à celui qu'on pourrait attendre d'un étudiant. Généralement, un jean délavé avec des trous aux genoux. Parfois, un pantalon marron clair ou blanc. Rarement, un pantalon droit à carreau comme c'était à la mode en ce moment. Sans doute le mettait-il pour les occasions, comme il avait l'air assez inconfortable. Aujourd'hui, c'était un slim noir probablement neuf.
Il portait par contre toujours le même t-shirt blanc assez large. Il devait en avoir une pile énorme dans son placard. Il arrivait quand même à faire en sorte que cela semble varié, entre les jours où il le portait tout simplement lâche avec un sweet à capuche ouvert par dessus, ou ceux comme aujourd'hui où il le rentrait dans son pantalon pour souligner sa taille, une veste sur les épaules. Il semblait ne jamais avoir froid. Sa veste, bien que confortable, avait pourtant l'air légère pour ce mois de février. 
Il écoutait toujours de la musique, les écouteurs profondément enfoncés dans ses oreilles. Son pied battait la mesure sur le sol douteusement propre du métro. Aucun moyen de savoir quel air il écoutait mais cela semblait particulièrement rythmé au vu des mouvements se répercutant dans sa cuisse. Cela semblait le couper totalement du monde alentour bien qu'il observait tout autour de lui, moi y compris, sans paraître gêné. C'est pourquoi j'évitais d'inspecter trop son visage et plus encore ses yeux pour ne pas croiser son regard. J'avais beau être détaché, je voulais éviter d'être dans une situation de malaise. 
Je n'avais donc aucune idée de la couleur de ses iris. Mais pour le reste il avait des cheveux d'un brun profond qui retombaient légèrement devant ses yeux. Aujourd'hui ils étaient mouillés et gouttaient délicatement sur sa veste. Ça devait le refroidir mais encore une fois il semblait particulièrement insensible aux basses températures de ce mois de février. Il passait régulièrement sa main dans ses cheveux humides, pour les remettre bien en place. Ce n'était pas vraiment efficace, ça les faisaient tenir pendant quelques secondes mais ça ne paraissait pas le déranger outre mesure. 
Son nez droit était surplombé d'une paire de lunettes à fine monture argentée. Elles étaient rondes mais ne le faisaient pas ressembler à Harry Potter pour autant. Elles lui allaient particulièrement bien.
Sa mâchoire assez marquée était exempt du moindre double menton. On pourrait dire qu'il était assez beau, d'une beauté standard mais bien présente.   
La posture entière de son corps et le maintien de sa tête évoquait une attitude songeuse et constamment dans la lune. La même que je connaissais si bien et qui me faisais dériver pendant des heures durant mes cours jusqu'à complètement perdre le fil des paroles de mes professeurs. Les arrêts fréquents et le flux modéré de gens semblait ne jamais le sortir totalement de ses rêveries bien qu'il continua d'inspecter le monde qui l'entourait. 
Son attention se traduisait dans le mouvement de ses mains qui jouaient avec la coque de son portable. J'aimais particulièrement observer les mains des gens à proximité. D'après moi, elles pouvaient raconter une histoire aussi bien qu'une biographie. Où que des chaussures comme dirait probablement le cordonnier dans le livre le sel de nos larmes. 
Ses mains, donc, étaient fines et élancées. Ses phalanges ressortaient particulièrement, leur donnant un aspect buriné démenti par la finesse de sa peau presque opaline. Ses doigts étaient ornés de plusieurs bagues. De ces bagues que l'on jugerait masculine, assez larges et gravées de sorte de runes.
Je l'avais déjà vu porter du vernis noir. Ça lui allait bien et je trouvais ça dommage que ce soit un privilège que la société ait donné aux femmes.
De cela, on pouvait s'imaginer qu'il ne faisait pas de travaux manuels. On alors du dessin mais en tout cas ses mains étaient trop immaculées pour qu'il soit ouvrier. De ses phalanges on pouvait penser qu'il se craquait les doigts. Des claquements secs mais discrets le confirmait. 
A coté de lui était posé une sacoche en vieux cuir aux coutures usées par le temps. Elle était pleine à craquer probablement bourrée de diverses affaires de cours. Un porte clés était accroché à l'attache de sa bandoulière. C'était un de ces portes bonheur que l'on pouvait retrouver au premier magasin à souvenirs des quartiers chinois. Un écheveau de fil rouge auquel était accroché une pièce de métal percée d'où pendait un pompon assez long du même fil. Il était actuellement en équilibre précaire entre le sac et le dossier du siège.
La voix du métro énonça mon arrêt et tout les accès touristiques et culturels qu'il permettait. Je poussais un soupir résigné. Le temps de calme des transports avant d'aller à la fac était toujours trop court. J'étais sans doute le seul à aimer prendre le métro. Ou peut être que lui aussi. 
Le wagon entreprit de ralentir plutôt désagréablement pour les voyageurs et le quai apparu. 
Je me levais en jetant ma sacoche en cuir sur mon épaule. Mon porte bonheur rouge fit un saut dans le vide et y balançait maintenant encore retenu à l'accroche de ma bandoulière. Je lui lançais un petit sourire avant de sortir de la rame. Les vitres avaient été lavées récemment, on le voyait particulièrement bien. D'ailleurs ce slim noir m’allait à merveille.

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