1 ♠ Quelques verres

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Je fixai d'un regard désintéressé le liquide emplissant mon verre, avant de porter ce dernier à mes lèvres légèrement gercées. La boisson alcoolisée glissa dans ma bouche, brûlant chaleureusement mon œsophage, mais me faisant grimacer d'inconfort. Je n'ai jamais aimé l'alcool, et encore moins les forts, mais je souhaitais juste m'évader de cette soudaine réalité. J'avais la sensation d'être dans une triste pièce de théâtre, dont je n'étais que le bouffon du roi. Je ne pensais même pas faire rire qui que ce soit, sauf elle, peut-être.

Rapportant mon attention sur mon verre, je fis une moue désapprobatrice en le constatant à présent vide. Mon visage trouva refuge au creux de mes mains, mes coudes reposant sur le comptoir de ce bar où je l'avais vu pour la première fois. Je ne savais pas ce qui m'avait poussé à pénétrer dans ce lieu, il y a trois ans. Les couleurs des néons à l'extérieur, arc-en-ciel, m'avaient attiré, mais je n'avais pas fait le rapprochement de suite. Le barman m'avait alors appris que c'était un établissement LGBT et, étant hétéro, je m'étais immédiatement senti de trop. J'avais eu l'intention de quitter cet endroit quand une jolie fille avait capté mon attention, juste là, à une des tables non loin du comptoir.

Lorsque mon regard s'était posé sur elle, je l'avais désiré aussitôt. Elles étaient avec d'autres filles, en train de rire, mais elle m'avait hypnotisé et j'avais su prendre mon courage à deux mains pour aller à sa rencontre. Par chance, elle était bisexuelle, et nous devions fêter aujourd'hui nos trois ans de couple. Pourtant, je me retrouvais ici comme un con, seul, un malheureux verre de whisky à la main pour pouvoir bêtement me saouler, même si je supportais, à mon grand regret, bien l'alcool.

Je soupirai une nouvelle fois, passant mon index sous mes yeux brûlants dont de fines perles salées menaçaient de s'en échapper à tout moment. J'étais pathétique, et je détestais l'admettre. Je n'avais pas d'autres possibilités s'offrant à moi, et puis, à quoi bon ? Personne n'allait me servir sur un plateau d'argent au design méthodiquement étudié un cachet magique pour me permettre de changer le cours des évènements, ou même de tout oublier. Je balayais mes idées saugrenues de mon esprit d'un mouvement de la tête, et commandai à nouveau un verre, tendant le mien au barman pour qu'il puisse le remplir. Il s'exécuta, ajouta quelques chiffres à ma note, et s'occupa d'autres clients en mal de boisson.

Peu m'importait le prix à payer à la fin de cette soirée, je souhaitais juste oublier la douleur s'étant accaparée de mon organe vital. Je vidai avec un certain dédain habituel depuis plusieurs minutes mon whisky, songeant à passer à la vodka pour accélérer le processus d'ébriété. Tant que les images m'ayant détruit un peu plus tôt ne gravitent pas dans mon esprit. Je me sentais si seul et triste. Je ne comprenais pas pourquoi elle avait fait ça. Nous étions mariés, non ? N'avais-je donc plus la moindre valeur à ses yeux ? Il est vrai que tout était allé très vite entre nous, mais j'étais confiant, je ne pensais pas qu'un nuage allait obscurcir notre horizon. Un nuage... un ouragan plutôt !

Farfouillant dans les poches de mon pantalon, je finis par mettre la main sur mon téléphone et le déverrouillai, me rendant dans la galerie photo pour aggraver ma peine. "Mon cœur ♡" fut l'album qui capta mon attention, que j'ouvris pour laisser mon regard se déposer sur les quelques milliers de clichés que je partageais avec elle. Je nous voyais sourire, nos yeux transmettant nos sentiments, nous embrassant. Je nous voyais lors de nos sorties dehors, puis chez moi, chez elle, et enfin chez nous. N'importe quel lieu que nous visitions ensemble était prétexte pour immortaliser le moment. Et, je nous voyais pendant le mariage... Ça ne faisait qu'un an que nous nous connaissions, mais j'étais sûr de moi à l'époque, je n'avais pas voulu attendre une minute de plus. Je la visionne, dans sa jolie robe sirène, un petit bouquet à la fin pour cacher son timide sourire quand elle avançait dans l'allée. Alors, pourquoi me faire ça maintenant ?

Je n'avais jamais constaté la moindre faille dans notre couple, ou peut-être avais-je été trop aveugle. Si j'étais resté dans l'ignorance, peut-être serais-je en train de me lover dans ses bras, juste après l'avoir étreint toute la nuit avec délicatesse et passion ? Peut-être que le problème venait de moi, tout simple. Je n'étais pas un garçon très viril, ni même très beau. Je la savais attirée par les filles après tout, alors je ne devais pas être surpris de constater qu'elle regrettait notre relation. J'étais quelconque, mais je gagnais ma vie convenablement, assez pour lui faire des cadeaux quand elle le souhaitait. Quelles étaient ses motivations, l'argent ? Je refusais de réfléchir plus longtemps à tout ça, j'avais sans doute halluciné, elle qui était si gentille et aimante... Elle ne pouvait pas m'avoir fait ça.

Quelques larmes décidèrent finalement de dévaler mes joues, alors j'éteignis mon téléphone, le posant sur la surface en bois du comptoir. Je préférais le silence aux cris de rage, c'est pourquoi je m'étais enfui, tel un lâche, afin d'y voir un peu plus clair dans mon esprit. Je parvins à me contrôler, et séchai mes larmes, quand j'entendis soudainement un individu s'asseoir sur le tabouret de bar, juste à ma droite. J'étais pourtant bien, seul dans mon coin, et voilà que je me sentais à présent observé. Baissant le regard, je le laissai ensuite discrètement glisser vers la personne à mes côtés, finissant par croiser ses yeux. En sursaut, je tournai aussitôt le visage, rompant notre étrange contact.

- Ça n'a pas l'air d'aller bien fort, je me trompe ?

Cette voix, les sensations qui s'en dégageaient, j'étais comme happé. Acceptant de confronter l'homme à ma droite, je me perdis à la contemplation de son visage. Une mâchoire saillante et un nez finement sculpté, des sourcils droits et expressifs pour souligner la douceur de ses yeux marron en amande, de fines lèvres rosées ainsi que de superbes cheveux noirs ondulés. Il était vêtu d'un perfecto en cuir noir, et d'un pantalon de la même couleur, visiblement slim. Il portait également une chemise d'un blanc limpide, et semblait avoir mon âge. Un détail particulier capta mon attention : des piercings. Il en avait pas mal aux oreilles, mais aussi à l'arcade droite, et à la lèvre inférieure gauche. Jamais je n'avais vu pareil homme de mon vivant, il était si beau...

- Pa-pardon ? bégayai-je, subjugué par son physique époustouflant.

- Je disais, ça n'a pas l'air d'aller bien fort. Je t'ai aperçu en train de pleurer, tu veux peut-être en parler ?

Quelle était donc cette situation ? Semblais-je si misérable que cela ? Mes dents mordillèrent la peau morte de mes lèvres gercées, trahissant sûrement mon inconfort. C'était un vieux tic d'anxiété qu'il parut remarquer, car il m'adressa un sourire si réconfortant, comme s'il comprenait mon angoisse sans même que je n'ai à la formuler. Mon cœur battait un peu trop vite face à cette situation déconcertante, et je perdais peu à peu conscience de ma foutue réalité. J'étais en revanche sûr d'une chose, je ne voulais pas faire disparaître le doux mirage qui s'était matérialisé à mes côtés. Étais-je trop ivre et mon imaginaire avait créé ce jeune garçon ? Réel ou non, peut-être qu'en parler me fera effectivement du bien.

- Je... Je ne sais pas si...

- Si en parler te détendra ?

Je hochai la tête en guise de réponse, troublé qu'il devine mes pensées.

- Je t'observe depuis un moment, tu sais ?

- Ah-ah oui ? demandai-je en un souffle, ne sachant très bien si je devais me sentir flatté, le trouver étrange, ou avoir honte de mon comportement.

- Hum hum. Chercher à te saouler ne résoudra en rien ton ou tes problèmes, mais en parler, et recueillir mon avis si tu le souhaites pourra t'aider à y voir plus clair, tu ne crois pas ?

- Sans doute...

- Alors je t'offre un verre, et tu me racontes ?

Ce sourire, encore une fois...

- Tant que ce n'est pas de l'alcool dans ce cas. Je pense que j'ai eu ma dose pour ce soir.

Brise étoilée [JIKOOK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant