(I) Juste bien

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Comme tout les matins elle se regarde dans le miroir. Comme tout les matins son cœur se serre devant l'image qu'il reflète.

« Je suis grosse »

Et elle regarde les larmes perler au coin de ses yeux, puis couler sur ses joues rondes.

Lily, elle voudrait être blonde, aux yeux bleus, fine, et élancée, comme toutes ces femmes superbes, dans les magazines de sa maman.

Lily, elle ne sourit pas. Elle prend son bus, et elle ne sourit pas. Elle entend qu'on murmure à son passage. Des paroles méchantes. Ça lui fait mal, à Lily, mais elle ignore tout cela, et elle fait comme si elle n'avait rien entendu.

Puis, Lily rentre dans la cour de l'école.

Oh regardez ! C'est la baleine !
Je dirai plutôt un hippopotame !
Non ! Un éléphant !

Elle entend des éclats de rire. Pas ceux qui sont légers et joyeux, et qui s'envolent avec les oiseaux. Ceux là font mal, brisent la gaité du ciel et viennent heurter son cœur d'enfant.

Et là, Lily a très très envie de pleurer, mais elle retient ses larmes. Tout au fond d'elle. Ça lui fait une sorte de grosse boule dans la gorge.

Grosse. Comme elle.

Et Lily serre les dents. La maîtresse ordonne de se mettre en rang par deux. Elle va se mettre tout à la fin de la file, seule. C'est là qu'est sa place. Elle n'a personne à qui donner la main. Sa petite main potelée, trop potelée.

-

Et puis un jour, quelque chose brise la triste routine de Lily.

Elle est grande, blonde aux yeux bleus et très très fine.

Mais ce que Lily remarque en premier, c'est son grand sourire.

Elle s'appelle Emy.

Emy vient parler à Lily, toujours avec son grand sourire.

J'ai entendu les autres t'appeler la "baleine".

Lily lui dit que ce n'est pas grave.

Moi je voulais juste te dire que les baleines, c'est très joli.

Alors, s'en pouvoir s'en empêcher, Lily sourit. Elle trouve que ce mot ne sonne pas pareil dans la bouche d'Emy. Là, ça ne lui fait pas mal au cœur. Ça ne brise pas la gaieté du ciel, ça ne vient pas heurter son cœur d'enfant.

Au contraire.

Et toi, tu es très jolie.

C'est la première fois qu'elle entend ça, Lily. Et ça lui fait bizarre. Ça lui fait bizarre, mais ça lui fait du bien. Vraiment du bien.

Toi aussi tu es très jolie.

Lily fait sourire Emy. Son sourire est tout beau, tout chaud. Mais très vite, il disparaît.

Non. Je suis trop maigre.

Non. Tu es juste bien.

Alors elles scellent un accord.

« Juste bien ».

Lily, elle trouve que ces deux mots sont vraiment beaux, alors elle les écrit. Un peu partout.

Et ça devient comme un jeu.

Juste bien ?

Juste bien !

Lily est grosse. Elle se regarde, ce matin, dans le miroir et elle se dit :

« Je suis grosse. Mon ventre est tout rebondi, mes bras sont moelleux comme des coussins et mes mains sont potelées. Et c'est très joli ».

Elle pense à Emy. Emy, et ses joues toutes creuses.

« Emy est maigre. On voit un peu ses côtes se dessiner sous son t-shirt, ses bras sont tout délicats, et ses mains sont toutes fines. Et c'est très joli ».

Lily caresse son ventre, tout rond, et elle se dit, devant le miroir :

Juste bien.

Et Lily sourit.

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