Chapitre 2

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Icare et moi avons séché la cantine, bien plus par envie d'un Mac Do que par dégoût de cette dernière, au final assez correcte. Tandis que je surveille les employés constituer petit à petit notre commande, Icare joue avec un élastique.

- Dis, Val, tu crois que Thomas va venir cette aprem' en cours ?

- M'appelle pas Val, on a n'a pas élevé les cochons ensemble.

Il pouffe légèrement, on ne se connait que depuis le collège mais si cochon il y avait eu, on les aurait sûrement élevé ensemble, puis je poursuis.

- Et puis par rapport a Thomas, je sais pas. C'est pas trop mon problème tu vois, le gars il vient que quand il a envie, c'est un peu chiant, l'école est pas à sa disposition.

- Ouais je vois.

Le silence plane à nouveau, c'est le truc que je préfère avec Icare. Ce n'est jamais gênant entre nous, on peut passer des heures sans se parler, ce n'est pas dérangeant. On s'est rencontré en 5e, j'ai du mal à croire que c'était il y a seulement 4 ans tant j'ai l'impression d'avoir tout vécu avec lui. Il m'avait adressé la parole pour me dire qu'il aimait bien mes bracelets et, depuis, nous ne nous sommes plus quitté.

- Et t'aimerais qu'il vienne, toi ?

- Thomas ? T'as un vrai problème avec lui aujourd'hui, c'est quoi le soucis ?

- Je sais pas, c'était bizarre tout à l'heure, tu trouves pas ?

- Je m'en fiche un peu, il fait sa vie.

Icare hausse les épaules et je secoue la tête. C'est vrai qu'il y avait quelque chose d'étrange à ce qu'il vienne me dire ça, et de cette manière. Mais ce n'est pas mon problème. Je commence à imaginer un tas de raisons possibles.

A- Il voulait me parler depuis tout ce temps mais il n'a jamais trouvé le courage alors il a décidé de faire ça et je l'ai rembarré donc il ne parlera plus jamais, je finirai seul et aigri et lui triste et abattu.
B- Il a lui aussi perdu un membre de sa famille, ce qui nous rapproche, donc il s'est senti moins seul mais comme je l'ai rembarré il se sent à nouveau seul, donc il finira seul et aigri et moi triste et abattu.
C- Il en a absolument rien à faire de moi, voire même il voulait me rendre triste pour contempler le désarroi sur mon visage parce qu il est complètement cinglé, il finira heureux de m'avoir déstabilisé et moi aigri et abattu.

Je fais par de mes théories à Icare, qui se contente d'ajouter

- D, il a entendu ça dans le bus et donc voulait juste être poli parce que tout le monde sait que perdre un proche c'est dur, et comme tu lui as dit que c'était faux, tu es passé en random tier dans son esprit. Par contre t'es sûr que c'est moi qui ait un soucis avec Thomas là ?

- Tu manques d'imagination, pour un poète.

J'aime bien le taquiner parce qu'il écrit un peu de poésie. Je me moque, mais moi aussi, je suppose qu'on est tous les deux des artistes ratés contraints par leur vie scolaire et sociale. Tandis que je me perds en divagations, Icare récupère notre commande. Sans plus penser a Thomas, nous allons nous installer dans le parc en plaisantant, uniquement en anglais, dans le but de réviser notre oral de l'après midi.

~

- And that's why I think that the surveillance is a bad thing for the society. Thanks !

La professeure nous regarde avec amusement. Notre oral était un débat à propos de la surveillance de masse et de l'affirmation "si tu n'as rien à cacher, tu n'as rien a craindre". Aux vues de ce qu'on a raconté, je pense que l'on peut viser 16. Sans être excellents, nous n'avons pas été mauvais et il me semble que le propos était à peu près pertinent, en plus d'être sourcé. Je hoche la tête en direction d'Icare, et on se check discrètement.

- Thomas, même si tu n'as pas de binôme, tu passeras avec moi. Je m'adapterai à ton niveau et ferai en sorte que tu puisses développer ton propos. Ajoute la prof avec un certain dédain en direction de l'élève, à moitié endormi dans le fond de la classe.

Son niveau d'anglais est impressionnant. Je suis presque sûr qu'il n'a rien préparé, et pourtant les mots semblent s'enchaîner dans sa bouche comme dans son esprit. Il articule bien et son accent est plus que propre pour un français. J'en viens à me demander s'il n'a pas vécu en Angleterre. Il vient toujours si silencieusement, que jamais je n'avais remarqué ses capacités. Son oral s'éternise, la prof le relance en permanence. Il défend bien son point de vue, il me semble même qu'il réutilise des articles que j'ai moi même cités. Lorsque retentit la sonnerie, je décide donc d'aller le voir.

- Euh Thomas ? Comment tu fais pour être aussi bon en anglais ? T'as vécu en Angleterre ?

- Euh non jamais mais j'écoute beaucoup de musique et puis je lis pas mal en anglais je suppose que ça aide. Pour ce chapitre, si t'avais lu 1984, ça suffisait à argumenter !

- Oui je vois, en tout cas si t'as des livres a me conseiller en anglais, je suis preneur, je galère complètement.

- Déconne pas, t'es bon partout toi.

- N'importe quoi !

Il se détourne pour quitter la salle avant d'ajouter en marchant

- Lis Alice in Wonderland, pour commencer c'est pas mal. Et puis tu me fais penser au chapelier.

N'ayant vu que le Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton, je n'ai pour référence que le jeu de Johnny Depp. Bien que j'adore cet acteur, c'est un des meilleurs, je ne parviens pas à déterminer si sa remarque est un compliment ou non. Je le regarde s'éloigner, sans jeter un regard en arrière, avec son pull trop grand et son pantalon noir. Il a une démarche assurée et calme, régulière. Tandis que ses converses disparaissent derrière le cadre de la porte, Icare me tire par la capuche pour qu'on s'en aille, ce que nous faisons immédiatement.

Le reflet de son âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant