Ses marins se gavent avant de filer vers les îles

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Mon tendre Jimin, je m'appelle Jeon Jungkook. Et j'aimerais que tu retiennes mon nom.

Jimin manqua de trébucher dans les quelques marches qui séparaient l'estrade du reste de la grande salle du cabaret tant il se hâta de les descendre, son cœur perdu dans une sorte de folie qu'il ne parvenait pas à contrôler. C'était si bizarre de se retrouver face à quelqu'un aussi proche de Jungkook sans  pour autant voir l'intéressé, sans pour autant se sentir en mesure de le voir malgré tous ces moments où son esprit été accaparé par le quartier-maître. C'était comme si on cœur était piégé par une illusion, comme si ses désirs les plus secrets et ceux que lui-même n'osait pas se murmurer dans le creux de la nuit prenait réalité dans une image floue et fausse. Et pourtant, sans qu'il n'en comprenne réellement la raison, il pourchassait cette illusion, même s'il savait, au plus profond de lui, que rien de positif ne ressortirait de cette rencontre. Même s'il savait qu'il avait devant lui l'incarnation de la mer et de sa colère, venus le chercher pour le punir définitivement. C'était peut-être comme ça qu'il allait finir et pourtant, Jimin se surprit à y courir les bras grands ouverts, comme si cette mort pourrait le rapporter auprès du quartier-maître. Ce nom, qu'il n'avait appris que grâce à cette lettre maudite déchirée en petits bouts maintenant sagement rangés dans sa chambre, tournait en boucle dans son esprit. Comme s'il avait soudainement perdu toute raison, comme s'il ne pouvait penser qu'à ça. Pour la énième fois de son aventure, il se rappela que tout ce qu'il faisait, c'était seulement parce que Jungkook lui en avait donné le courage. Peu importe les émotions qui étaient à l'origine de ce départ, le jeune danseur ne parvenait qu'à voir les résultats. Il avait maintenant la conviction qu'une bonne étoile veillait sur le haut de sa tête et qu'il avait rencontré bon nombre de bonnes âmes qui lui avait appris plus que toute la vie ne l'avait fait. Et si c'était la colère qui l'avait motivé à partir il y avait maintenant presque deux mois et demi, aujourd'hui, il ne ressentait qu'une grande reconnaissance et un attendrissement qu'il n'aurait jamais cru possible auparavant. Il voulait retrouver le maître d'équipage pour lui montrer comment il avait grandit, lui raconter quelles aventures lui avaient tendu les bras sur terre et comment elles avaient contribué à sa grandeur. Il voulait lui raconter sous les étoiles comment il avait pris la terre avec brio, et il voulait retrouver ce regard d'admiration et de bienveillance que lui portait toujours le marin brun. Alors, il dévalait les escaliers, cents pensées à la fois dans son esprit surmené.

Quand il toucha le plancher de la salle, il sentit une main sur son épaule et il sursauta en en tournant la tête en direction de Soobin. Il était habillé dans sa tenue de danse lui aussi, entouré de violet profond et charmeur, ses yeux largement maquillés derrière un large masque, et pourtant, même à travers l'accessoire, Jimin parvenait à discerner le regard inquiet de celui qui était devenu son ami. Il savait que ses émotions passaient sur son visage et étaient facilement lisibles et pourtant, ce n'était pas comme s'il pouvait y remédier. Alors, le plus âgé se contenta d'attraper la main de l'autre et de la serrer tendrement dans la sienne, avant de lui tendre son éventail richement décoré. Puis, ce fut comme si le temps avait repris sa course effrénée : la seconde d'après, Soobin montait sur l'estrade et faisait résonner la joie des clients dans le cabaret, tandis que la musique et les murmures remontaient d'un coup aux oreilles du jeune danseur aux cheveux délavés par l'embrun. Tout était soudain bruyant et il manqua de perdre l'équilibre, s'emmêlant dans les grandes étoffes de son vêtement coloré. Il savait qu'une partie de la salle le regardait, surtout car il n'était pas reparti directement dans les loges comme tous les artistes avaient l'habitude de le faire, car la détresse et le doute semblait se dégager en vague de son corps fébrile. Plus que tout, il sentait le regard de Yoongi qui, caché derrière le bar, portait toujours sur lui des yeux protecteurs et qui ne le lâchait que rarement. Comme si Jimin pouvait encore s'effondrer à tout moment, comme si la fièvre l'attendait au tournant pour le terrasser. Comme si, vainement, il espérait lui aussi, ô belle âme qu'était Min Yoongi, pouvoir défaire le destin et protéger à jamais ses protégés. C'était faux, et le jeune danseur aux cheveux décolorés en avait aujourd'hui la confirmation : le destin venait toujours le chercher, il était toujours confronté à cette vie qu'il cherchait à fuir et il ne pouvait pas tourner éternellement le dos à ses ennemis sous peine de se faire poignarder à la déloyale.

LE NAUFRAGÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant