Derrière un sourire

Chapitre 1 -Abi

Maman roulait vers la maison. Et moi, depuis le siège passager, j'observais au loin la silhouette de notre voisine (alias Mme Chou Rouge, en clin d'œil à ce légume qui est sa plus grande préoccupation dans la vie) Elle nous a adressé un signe de la main, accompagné d'un affreux sourire qui dévoilait toute sa dentition -qui ressemblait plus à un champs de bataille qu'à autre chose, en réalité. Je n'ai pu retenir un gloussement face à son apparence pour le moins grotesque. Bigoudis roses flashys, robe de chambre jaune criard, pantoufles meurtries, jogging garni de tâches douteuses et gants de jardinages. Il avait beau être midi moins quart, elle ne semblait toujours pas s'être préparée.

Maman s'est garée dans la cour. J'ai immédiatement bondis de la voiture jusqu'à la porte d'entrée, prenant soin de camoufler le livre que je tenait sous le bras, à l'intérieur de ma veste. J'ai pressé la sonnette et le classique Ding Ding a retenti deux fois.Trépidant sur place, j'ai appuyé une seconde fois sur le bouton.

-Elle doit être sous la douche, a lancé ma mère en cherchant les clés dans son sac à main.

J'ai opiné en tournant la tête vers Chou Rouge qui était en train de nous épier du regard depuis son potager. Je lui ai adressé un clin d'œil qui a suffi à ce qu'elle détourne la tête. Elle s'est baissée, faisant mine de chercher quelque chose parmi ses salades.

On était au mois de mai et il faisait chaud, mais la sensation du soleil ardent sur la peau était si agréable...

J'étais heureuse. Je pouvais l'affirmer sans aucun doute, ce qui m'aurait paru impossible il y a encore quelques mois. J'ignorais pourquoi, mais j'appréciais ce moment. La vie était simplement belle.

Maman a ouvert la porte d'entrée et sans plus attendre, je me suis précipitée à l'étage, prenant juste le temps de glisser un "salut" au chat.

J'ai hurlé le prénom de ma sœur depuis la porte de la salle de bain mais n'entendant pas l'eau couler, je suis repartie. Mon instinct me dictait d'aller vérifier dans sa chambre, mais elle ne s'y trouvait pas

Mon cœur était empli de joie qu'il fallait absolument que je disperse sur quelqu'un. Ma sœur, plus exactement.

Je suis descendu au sous-sol.

"Emma!" ai-je crié.

Sans réponse.

Je suis remontée pour aller rejoindre Maman, qui était en train de vider les courses dans la cuisine.

-T'as pas vu Emm ?

Elle a secoué la tête en me demandant de l'aider à ranger les affaires. J'ai soufflé en saisissant une brique de lait.

-Tu peux lui envoyer un texto?

Elle a acquiescé avant de sortir son téléphone. Je me suis discrètement faufilé vers le salon pour me mettre à tournoyer autour de la table-basse, telle une abeille au-dessus d'une fleur. J'étais impatiente. Certes, il ne s'agissait que d'un livre que j'avais à offrir à ma sœur, mais je savais qu'il allait lui faire le plus grand bien. Je restait obnubilé à l'idée de pouvoir lui rendre son sourire, son véritable sourire. Pas celui de son feed insta. L'original, le vrai. Et peut-être qu'en collectionnant des petits moments de joie, quelque chose allait se débloquer en elle.

Prise dans mes fantastames, j'ai oublié la réalité pendant quelques instants qui ont suffi à ce que je me prenne le coin de la table dans le tibia. J'ai marmonné un "aïe" par habitude en me relevant pour aller chercher un pansement dans l'armoire à pharmacie. La plaie n'était pas très grande mais je n'avais pas envie que le sang se mette à faire du bobsleigh le long de ma jambe.