J'ai les deux pieds dans le vide.
Ils se balancent dans le vent frôlant l'envie d'aller s'embrasser sur les rochers.
D'ordinaire, j'ai le vertige.
Mais pas aujourd'hui.
Aujourd'hui, je me sens étrangement bien.
Peut-être parce que je sais que c'est bientôt la fin.
Ma dépression, en fidèle amie, me tient la main.
Elle ne la lâchera que lorsque mon sang aura repeint le lit de la falaise.
Je ne veux pas imaginer mes os brisés, ni mon corps écrasé.C'e st un spectacle que je laisse, comme l'empreinte d'une vie torturée, à celui ou à celle qui aura la malchance de me trouver.
Une pensée pernicieuse que j'assume totalement, parce que je me fiche des dégâts que la vue de mon corps broyé pourrait causer à celui qui croisera ma mort.
Au mieux, il s'en sortira avec une dizaine de séances chez le psy et sa vie continuera de couler comme la rivière glisse ses eaux tranquilles.
Au pire, il ne s'en remettra jamais vraiment et prendra alors peut-être conscience que, même sa propre existence se moque de lui, en lui jouant ses pas sur le chemin pathétique d'un non moins sarcastique : au mauvais endroit, au mauvais moment.
Mais peut-être aussi que jamais personne ne me trouvera.
C'est une possibilité qui ne m'effraie pas.J'ai toujours fait partie de ces oubliés qu'on croise, mais qu'on ne regarde pas. Pourquoi ma mort serait-elle différente ?
Je rêve les champs de marguerites de mon village natal.
Je rêve leurs pétales comme un dernier linceul.
J'ai beaucoup de mal à écrire ces mots du haut de cet à-pic.
Le vent s'amuse à déchirer ma feuille de ses bourrasques soudaines et je dois la froisser entre mes mains si je ne veux pas qu'elle s'envole déjà dans la gueule profonde de la mer déchaînée.
Bien que ce soit là sa destinée.
Parce que ces mots, personne ne les lira, je ne les écrits que pour moi-même. Je ressens ce besoin d'écrire parce que toute ma vie, j'ai écrit.
J'ai écrit mes souffrances, mes peurs, mes solitudes. il écrase contre les rochers avec une rage qu'on ne connaît que chez ces hommes qui jouent de la violence comme on nourrit sa faim.
Je l'écoute me crier sa fureur et j'ai soudain si froid de ce que j'entends que je me bouche les oreilles pour m'assourdir de cette algarade tempétueuse.
Je n'ai pas besoin de ça pour aller mal. Ne suis-je pas déjà au bord du précipice ?
Ces mots ne sont en réalité qu'une farce. Un truc pour ralentir le temps et pour m'obliger à réfléchir à tout ça.
Peut-être aussi à me trouver une excuse pour ne pas sauter...
Ou pour sauter plus vite.
Qu'est-ce que c'est con !
J'aimerais être un oiseau pour m'envoler haut, très haut dans le ciel et jouer à saute-mouton avec les nuages. J'aimerais lire le soleil et planer sur le mot « liberté ».
Putain que j'aimerais déféquer sur le monde avant de m'arracher les plumes et d'écrire le mot fin avec l'encre de mon sang.Le froid me pique les yeux.
A moins que ce ne soit ces foutues larmes qui m'agressent à nouveau.
Je croyais pourtant les avoir vaincues le jour où j'ai compris que rien ne changerait.
Je les pensais taries, dévorées par les sécheresses de mon cœur.
Mais elles sont là les garces, à charmer mon regard pour faire couler ma désolation sur mes lèvres gercées.
Elles sont là et je ne peux plus rien contre elles.
J'ai les deux pieds dans le vide et la mer, elle s'en fout comme moi, je m'en fous d'elle d'ailleurs.
Je ne l'ai choisi que pour m'oublier plus facilement au tragique de ses limbes.
Je ne dis pas que je ne l'aime pas.
Je la trouve tout simplement triste.
Malgré cela, je ne peux m'empêcher de la trouver belle.Elle capture nos âmes dans le bleu de ses eaux et, tel un chant de sirène, nous glisse sur la peau l'émotion fragile en perles de sel.
Chaque jour, elle nous offre un spectacle délicieux dans l'ondule de ses courbes gracieuses qu'elle dépose harmonieusement sur les plages de sable.
Elle joue sa beauté dans l'œil du peintre ou dans celui du photographe et se fige chaque jour un peu plus dans son éternité mortelle.
Mais tout ça n'est qu'un leurre.
La mer ?
Ce n'est que des milliards de larmes pleurées sur une terre qui s'étouffe sous nos pas.
La mer, elle est seule.
Désespérément seule.
C'est sans doute pour ça qu'elle ravale aussitôt ses vagues, qui n'ont que le temps de nous frôler les pieds avant de disparaître à nouveau dans sa gueule. Peut-être aussi pour ça, qu'elle emprisonne l'âme de nos marins et qu'elle recrache leurs corps sur les rivages, parce qu'un corps finalement, ça ne sert à rien.Son silence me fait peur.
Bien plus que la mort en fait.
Quelle connerie !
Mort, je n'aurais plus à me soucier de l'absence de ces bruits qui savaient occuper mes solitudes.
Mort, je serais mort.
Point.
Putain que je suis grotesque !
Même ma déprime se moque de moi.
Ça y est !
Il commence à pleuvoir.
Quelques larmes de plus sur mon âme ravagée.
Ça me fait chier quand même de mourir sous la pluie.
J'aurais tellement souhaité un clin d'œil du soleil.
Juste un.
Pour me sentir vivant.
Rien qu'une fois.
Je rêve que tu me répondes avec la fluidité de ta plume,
mais ce n'est pas un en revoir.
C'est un adieu dont tu te rappelleras toujours.
Pour finir, lis ces quelques mots à voix haute, porte les mots jusqu'au cieux.
Je reprends ces mots, de toi, que je ne connais pas.
Je me promène souvent avec ma solitude sur les bords de ces falaises qui ressemblent à des géants de pierre. J'ai souvent la certitude qu'elles me parlent à travers les murmures du vent. J'aurais aimé te rencontrer le jour où tes pas t'on menés jusqu'ici. Juste pour te faire un clin d'œil.
Ce n'est que ce matin que le destin m'a rapproché de tes silences, lorsque, assise sur un tapis de bruyères, mes doigts se sont frôlés à cette boule de papier qui renfermait tes mots.
Tu pensais cette feuille emportée au loin, elle n'attendait que ma main.
Je ne sais pas si tu as été un oiseau le temps d'une chute ou si tu te promènes encore avec ta déprime sur les chemins d'écumes.
J'ai lu les journaux de ces derniers jours et aucun ne mentionnent la découverte d'un corps.
Mais peut-être que tu as fini par t'échouer dans ces silences qui t'effrayaient tant et qu'aujourd'hui, tu navigues apaisés dans les abysses profonds.
Je reprends tes mots pour te dire que tu n'étais pas seul, que tu ne l'avais jamais été.Qu'il suffisait d'ouvrir les yeux et de regarder.
Te dire que grâce à toi, j'ouvre enfin les miens.
Je reprends tes mots pour te dire que je reviendrais chaque année sur ces falaises pour écouter la mer souffrir ses maux dans le vacarme de ses tempêtes. Que je lui offrirais, en mémoire de toi, un petit bouquet de marguerite qui flottera librement sur ses eaux.
Je ne suis pas ce rayon de soleil que tu as tant souhaité, je ne suis qu'une femme naufragée aux souffrances de tes mots.
Je suis celle qui se souviendra de toi... à jamais