- III -

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J'ai envie de crier, de pleurer, de gémir, de hurler ma souffrance et d'en mourir une seconde fois, déchiré de l'intérieur par les lames acérées de la torture, de la douleur.

Maël... Est couché à mes pattes.

Mort.

Comment... Comment, comment, comment a-t-on pu en arriver là... Mon esprit répète en boucle ce mot, comme une litanie; j'ai l'impression que le temps s'étire, que je perds la tête, le corps de cet enfant fragile et rêveur couché au sol.

Ses cheveux noirs tombent légèrement sur son visage pâle mangé par les cernes, et on distingue des traces rouges sur son cou et des bleus un peu partout sur son corps... J'ai la nausée. C'est la pire chose qu'il m'ait été donnée de voir.

Je me tords de douleur, j'ai l'impression qu'on m'arrache les entrailles, qu'on m'enlève tout ce que j'ai, tout ce qui compte pour moi. La souffrance est telle que je ne peux la nommer... Je sais juste que je voudrais mourir encore une fois pour apaiser toutes ces souffrances.

Je m'allonge à côté de son corps, convulsant de douleur sur le sol. C'est pire que tout. Je comprends enfin pourquoi les humains pleurent à la mort d'un être cher...

Moi, quand je voyais un loup se faire tuer, j'étais plus soulagé que ça ne soit pas tombé sur moi... Mais je n'ai jamais pensé aux louveteaux ou aux proches du loup en question.

Maintenant je sais. Je sais ce que ça fait. Et c'est pire que tout ce que j'ai pu endurer jusque-là.

J'entends des pas. Pris dans mon chagrin, je ne prends même pas la peine de relever la tête. De toute façon, je sais déjà qui c'est. Son père. Ce monstre.

Il ricane.

« Meilleure nouvelle de la journée ! Je n'ai même pas à me salir les mains, pour le coup ! »

C'en est trop. Je lui bondis dessus et le mords de partout, lui déchire la chair comme un fou, me défoulant sur lui pour évacuer tous ces sentiments qui me secouent, qui me détruisent de l'intérieur.

Mais ça ne sert à rien. L'humain repart sans même avoir une égratignure, et mon cœur saigne toujours autant.

Je me couche aux côtés de mon ami, le corps secoué de soubresauts incontrôlables. Je veux mourir aussi. Encore.

À quoi bon mourir si c'est pour devenir un fantôme, un spectre ou je-ne-sais-quoi, et continuer de souffrir ? À cause de tout ça, je dois même assister à la mort de la personne que j'aime le plus au monde...

C'est d'une telle cruauté... Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Mériter d'assister à la descente aux enfers de mon meilleur ami, puis à sa mort ? Mériter d'obtenir une fausse mort, une mort qui soit aussi douloureuse et insupportable que la vie ? C'est exactement cela. Une fausse mort.

Maël. Pourquoi ne devient-il pas un fantôme, lui aussi ? Pourquoi ne me rejoint-il pas ? Quelle est la différence entre lui et moi qui a eut pour effet de diviser nos destins de cette façon ?

Je n'en peux plus, la douleur me consume comme si je n'étais qu'une feuille abandonnée à un immense feu de forêt, impossible à éteindre. Et j'ai l'impression que c'est sans fin. Pouvez-vous seulement imaginer une telle douleur qu'elle ne finit jamais ? Une douleur qui vous suit pour l'éternité, et qui ne faiblit pas avec le temps ? J'ai l'impression que c'est ce que je vais devoir vivre.

Pour l'éternité.

Maël... Je t'aime tellement. Mon ami. Mon frère. Mon compagnon. Ma seule famille...

Ma vie.

Peut-être aurais-je mieux fait de ne jamais te rencontrer. Je n'aurais pas eu tout ce bonheur, tous ces moments merveilleux qui sont mes plus beaux trésors, mais... Je ne souffrirais pas autant maintenant. De ton départ. Au fond, peut-être que l'on ne devrait jamais s'attacher à personne. Car tout le monde, un jour, finit par s'éteindre. Et qu'on ne sait jamais si on sera là pour assister à ça, et souffrir considérablement de cette perte, ou pas. Mieux vaut ne pas s'attacher. Cela épargne toutes les douleurs du monde. J'en suis convaincu.

Un baiser sur le nez de Maël et je ferme les yeux. Prêt à souffrir. Pour l'éternité, peut-être, mais à ses côtés.

Et à ses côtés, tout est plus beau.

Cœur de loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant