- II -

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Ça fait une semaine. Une semaine que je vois Maël dépérir sans pouvoir rien faire. Une semaine que je vois Maël se faire frapper par son père, sans pouvoir rien faire. Une semaine que je souffre terriblement... Mais je n'ose pas imaginer la souffrance de Maël. Je suis sûr que la mienne n'est rien à côté de la sienne...

Je le vois pleurer parfois le soir, ou bien regarder la forêt, toujours avec ce même regard vide. Quand il ne hurle pas sur son père, bien sûr. Dans tous les cas, j'ai mal. Mal de le voir dans cet état. Ça me déchire de l'intérieur, ça me bouffe, ça m'anéantit.

Et je ne peux rien faire.

Aujourd'hui, Maël se réveille encore plus pâle que d'habitude. Ça m'inquiète. Je sais... Non, je sens, que quelque chose se prépare. Quelque chose de mal, quelque chose de triste. Ça se voit sur son visage de plus en plus pâle.

Mais je me dis que ce n'est rien, que je me fait des idées... Je fuis la réalité car celle-ci est trop dure à regarder en face. Je préfère me dire que tout va finir par s'arranger, quitte à me leurrer, plutôt que de devoir subir la souffrance que me procure la réalité des choses. À savoir que rien ne s'arrangera, à ce rythme-là, bien au contraire.

Et toujours cette foutue culpabilité... Tout ça arrive parce que je suis mort. Maël serait encore souriant si j'étais resté en vie.

Il va s'installer à table. Le silence règne dans la petite maison en bois, et Maël picore un peu dans une poire, avant de l'abandonner et de sortir de la maison. Je le suis en trottinant. Dehors, il fait glacial. L'hiver approche. Comme il a légèrement gelé, le sol craque sous nos pas, et c'est joli à l'oreille. Enfin, surtout ses pas.

Il prend la direction de la forêt. Pourquoi ? Pour aller me voir. Enfin, mon corps, entre autres. Il y va tous les jours depuis ma mort... Ça me rend encore plus coupable.

Mais cette fois, lorsqu'il y arrive, il ne vient pas se blottir contre mon cadavre ou pleurer de tout son cœur, non, cette fois, il s'accroupit et se met à parler.

« Je ne sais pas où tu es en ce moment, et si tu me vois, ou même m'entends mais... Je veux que tu saches que tu as été le frère et l'ami que je n'ai jamais eu. Tu étais là pour me réconforter dans les mauvais moments, et tu m'as rendu heureux... Je pense que tu le savais déjà, mais je voulais te le rappeler, il marque une pause où je peux voir une petite larme s'échapper de son œil gauche. Oh, et ne culpabilise pas. Je te connais. Je sais comment tu réagis aux différentes choses... Alors si tu vois vraiment tout ce qu'il se passe, je sais que tu dois mourir de culpabilité. Enfin, mauvais choix de mots mais c'est l'idée. Il ne faut pas que tu t'en veuilles, t'as compris ? Idiot de loup. Ce n'est pas ta faute. Rien n'est de ta faute, bien au contraire. Sans toi... Sans toi je serais mort depuis bien longtemps. Tu sais que le jour où on s'est rencontrés... J'avais décidé de mourir ? Tu m'as sauvé, alors ne t'en veux pas. Tu restes mon meilleur ami quoi qu'il arrive. »

Il sourit tristement à mon corps, dépose un baiser sur mon oreille et rebrousse chemin pour rentrer au village.

Ses mots m'ont bouleversé. Je le suis, mais je ne fais pas vraiment attention à ce qu'il se passe autour. Je le suis, mais je repense à son discours. Ne pas m'en vouloir ? Pas de ma faute ? Comment veut-il... Il est tout pour moi. Le voir dans cet état est pire que la mort, pour moi. Et ça ne me suffit pas de l'avoir sauvé une fois. Je veux le sauver pour toujours. Le protéger de toutes les horreurs du monde. Et maintenant je ne peux plus...

Je le rattrape, et encore une fois, je l'enveloppe de tout mon corps, le câlinant avec toute la tendresse dont je suis capable.

Et soudain, il sursaute, et se retourne vivement.

« T'es là ? » murmure-t-il avec des yeux ronds.

J'écarquille moi aussi les yeux. Parle-t-il de moi ?  A-t-il senti mon étreinte ?

Je me jette sur lui et lui lèche la joue, fou d'espoir.

« J'ai l'impression... Que tu es avec moi, soupire-t-il. Si ça se trouve, c'est le cas... Je veux y croire. »

Il sourit doucement.

« Je veux croire que tu es là, avec moi, et que tu veilles sur moi... »

Ému, je me rapproche de lui et enroule ma queue autour de sa taille. Je resterai avec lui quoi qu'il arrive.

Le reste de la journée, je reste le plus proche possible de lui, comme pour le protéger, lui rappeler que je suis là. Ça me fait du bien. J'espère que ça lui en fait à lui aussi...

Parce qu'il se fait encore battre par son père. Et je sens qu'il ne va pas tenir si je ne suis pas avec lui...

Cœur de loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant