Après une année de terminale riche en émotions, Délia décide de changer de continent pour poursuivre ses études universitaires. Un peu trop sûre d'elle et un poil hautaine, elle compte mener cette nouvelle vie comme elle l'entend, dans les règles de...
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Samedi 06 décembre 2008
Cela va faire vingt minutes que je l'attends. Vingt minutes qu'elle me fait des signes depuis l'autre extrémité du séjour. Installée à la table à manger, enfin, ce qui en reste, car celle-ci est cachée sous la masse bordélique de ses documents professionnels couvrant la quasi-totalité du meuble. Un stylo coincé entre les dents, elle négocie ce qui semble être la réservation d'un lieu idyllique pour « l'événement de l'année », à l'entendre.
Je roule des yeux face à cette extravagante exagération.
Affalé dans le canapé principal du séjour, mon ordinateur sur les jambes, je l'attends patiemment en regardant des vidéos aléatoires sur les dernières merveilles de la technologie. D'ailleurs, le bruit raffiné de la pluie tombante mêlé au son mélodieux de son timbre de voix me berce doucement et je manque de piquer du nez devant mon écran.
Jusqu'à ce qu'elle se lève pour jouer sa dernière et précieuse carte. Vendre du rêve. Ce qu'elle sait faire de mieux. Faisant des allées et venues dans la pièce, elle projette son interlocuteur dans un univers parallèle soigneusement confectionné par ses soins. Elle commence par placer le décor, les couleurs, les sons, les saveurs, et parvient même à suggérer des senteurs. Ensuite, d'une voix exagérément feutrée, elle fait un bond dans le passé où elle rappelle sournoisement l'histoire de l'hôtel prestigieux qu'elle démarche depuis une demi-heure...comme si son interlocuteur n'en était pas familier. Elle met un point d'honneur à marteler délicatement la dimension marketing et publicitaire que cet évènement apporterait au lieu. Au fur et à mesure qu'elle étale ses arguments de persuasion, elle tourne gracieusement sur elle-même, dansant sur le rythme d'une musique qu'elle vient d'improviser. Elle vit sa narration comme si elle en occupait le rôle principal. Et enfin, elle conclut sur le mot magique, enfin, celui qu'elle préfère parmi les dizaines de milliers qui existent dans la langue française. La réputation.
— ...la délicieuse renaissance que procurerait cet événement grandiose à la réputation de ce lieu.
Je ne peux m'empêcher de sourire face à ce cinéma. En quelques minutes, elle a déballé toutes les phases de sa personnalité aussi riche qu'envahissante pour séduire et faire flancher son interlocuteur. Elle est épuisante, mais qu'est-ce qu'elle est douée ! Plus je l'entends argumenter avec émotion en plus de la pointe d'humour qui va bien, et plus je me dis que son interlocuteur doit être sans âme. Même moi je suis prêt à céder et ce à n'importe quel prix. Après une dizaine de minutes supplémentaires, elle lève le poing avant de l'abaisser abruptement en signe de victoire. Un énorme sourire orne son visage tandis qu'elle esquisse un pas de danse plus énergique, cette fois-ci. Bredouillant ensuite quelques mots de politesse avant de raccrocher, elle me rejoint enfin.
— Je suis le-ssi-vée ! se plaint-elle en retirant de ses longues boucles rousses le crayon, improvisé en barrette, qu'elle a frénétiquement enroulé autour de ses mèches le temps de sa négociation.
