dernière lettre, première lettre.

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"Ymir,

Quand j'ai ouvert les yeux, ce matin, ma première pensée ne t'a pas été destinée.

J'ai été sur le marché, j'ai salué mon peuple, je lui ai accordé un sourire sincère. J'ai pansé le bobo au genou d'un orphelin et lui ai embrassé la joue. Bien sûr, ses tâches de rousseurs m'ont rappelé les tiennes. Mais pour une fois, attarder mon regard dessus n'a pas été difficile.

J'ai vécu ma matinée sans voir ton visage dans celui d'autrui, sans me demander si tu apparaîtrais d'une seconde à l'autre dans mon champ de vision, saine et sauve.

Loin de moi l'idée de te vexer; plus que tout, au cours des dernières années, j'ai été prête à crier mon amour pour toi au monde, et ce sans crainte. Te connaître et te chérir ont été deux choses qui auraient dû me motiver à faire mieux, seulement, tu sais bien que mes désirs égoïstes l'emportaient souvent sur tout. Égoïstes, oui. Nous l'avons été bien plus que de raison, mais pourtant, lorsque ça touchait à moi, tu étais l'une des personnes les plus altruistes que j'ai pu connaître.

Je me suis égarée. L'envie de te blesser est la dernière que je pourrais avoir, crois-moi. Pourtant, je dois t'avouer une chose: je ne souffre presque plus de ton absence.

Les cris joviaux des enfants résonnent dans la cour, un étage sous moi. Mon devoir de Reine ne cesse de me prendre tout mon temps, de me rappeler que j'ai un rôle à remplir, des gens à satisfaire. Le nid des oiseaux qui se sont installés dans l'arbre situé près de ma fenêtre me rappelle que la vie existe toujours. Qu'elle continue, et non pas que pour les autres, mais pour moi aussi.

La lettre que tu m'as faite parvenir après ton départ de l'île est toujours en ma possession, et pour rien au monde je ne la troquerais contre un autre bien. Toutefois, il m'est de plus en plus rare de verser dessus des larmes qui, à une époque, m'ont parues intarissables.

Des lettres, d'ailleurs, je t'en ai écrites bien d'autres. Celle-ci est loin d'être la première que je rédige à ton attention. Après notre séparation, je passais mes soirées à coucher sur le papier mes mots les plus sincères faute de pouvoir te les dire en face. Éclairée à la lumière d'une simple bougie, je remplissais mes nuits de non-dits qui ne seront jamais plus que nos petits secrets, à toi et à moi.

Je les ai toutes datées. D'après ce que dit mon dernier message, cela va faire quatre mois que je n'ai pas pris le temps de t'accorder un petit mot. J'en suis tout autant désolée que soulagée.

Dans mes anciennes lettres, j'avais l'habitude de te demander ton avis. Si les choses n'avaient pas changé, j'aurais écrit, dans le paragraphe précédent: «Dis-moi, qu'en penses-tu? Est-ce une mauvaise chose que je me sente si peu coupable de ne plus te pleurer tous les soirs?» La tentation d'écrire ces questions sans qu'elles soient embrassées de guillemets est forte, mais j'y résisterai. Car même si je désire connaître ta réponse, j'ai désormais pleinement conscience qu'elle ne viendra pas, et je l'accepte enfin.

Je ne peux pas (me) promettre que c'est la dernière fois que je te parlerai à travers ce type de missives, toutefois, je peux assurer que je ne pleurerai plus sur ce que je t'écris. Mes lettres auront beau rester des lettres, celles que je rédigerai à partir d'aujourd'hui n'auront rien à voir avec celles que j'ai formulées auparavant. Alors, pour la première fois depuis cet après-midi où l'on s'est dit au revoir pour toujours, je m'autorise à parler de choses qui m'ont longtemps fait peur. À poser des questions qui oui, resteront sans réponse, mais que je n'autorise plus à me pourrir de l'intérieur. Je les mets ici dans le but qu'elles y restent. Je leur retire le pouvoir de m'empêcher de dormir la nuit, et ce une bonne fois pour toute.

Je me suis toujours demandé: si tu avais été sous forme humaine au moment de me quitter, m'aurais-tu embrassée? Aurais-tu officialisé notre amour au milieu du chaos qui a causé ton départ si soudain?

𝐑𝐀𝐈𝐒𝐎𝐍𝐒 𝐃'𝐄̂𝐓𝐑𝐄. | yumihisuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant