Chapitre 2 suite

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Pour la première fois de sa vie, Judith apprécia un vol. Le décollage se passa sans encombre. Elle avait confiance. Il faisait nuit, mais Alexandre lui indiquait régulièrement quelle ville ils étaient en train de survoler.
Du cockpit, le ciel paraissait immense. De temps à autre, on apercevait un autre avion, au loin, poursuivant sa course.
La jeune femme avait l'impression que le temps s'était arrêté. Ils étaient à trois, dans une bulle au dessus des nuages. La conversation était joyeuse. Elle avait l'impression de parler avec de vieux amis, alors que le matin même, elle ne les connaissait pas. L'hotesse leur apporta un plateau repas frugal, mais Judith n'avait pas vraiment faim. De plus, il était probable qu'elle dîne plus tard, chez les parents de Vincent.

A cette pensée, elle eut un poids sur la poitrine. Elle regarda sa montre. Dans moins de vingt-cinq minutes, l'avion aurait atterri, et elle ne reverrait probablement jamais Alexandre. Lui, le corse, toujours en voyage; elle, la lilloise, responsable de rayon en librairie. Ils n'auraient probablement pas l'occasion de se recroiser. Chacun à un bout de la France...
Et puis d'ailleurs, pourquoi se reverraient-ils ? Judith était de son côté engagée avec Vincent, elle tenait à la stabilité de son couple, ne serait-ce que pour l'équilibre de son fils.
Plus les minutes passaient, plus elle se faisait silencieuse. Sa joie retombait... l'enthousiasme qu'elle avait au début du vol l'avait quittée. Elle sentait la fin arriver.

Elle jeta un coup d'oeil à Alexandre qui commençait à se concentrer pour l'atterrissage.

"On va amorcer la descente, chère Judith. Toujours pas peur ?
- Non, ça va, répondit elle en souriant. J'ai confiance en toi.
- Je le prends comme un compliment, ça !"
Et il n'avait pas tord. C'était bien l'une des premières fois de sa vie que Judith était totalement détendue en avion.

"Tiens, lui dit-il. Note moi sur ce bout de papier tes coordonnées, on pourra garder contact ! Enfin... si ça te dit !"
Judith lui arracha presque le papier des mains. Elle savait qu'elle ne devait pas céder à la tentation, mais après tout, tant pis. Garder contact ce n'était pas méchant. Et puis elle en avait envie. Il avait mis tant de soleil dans sa journée qu'elle ne pouvait le laisser filer. Avoir des nouvelles lui ferait plaisir.
Elle nota tout ce qu'elle pouvait noter : son numéro de téléphone, son adresse e-mail, son adresse postale.
Elle lui demanda d'en faire autant. Les commandes étaient encore en automatique, si bien qu'entre deux contrôles des appareils de bord, il put s'exécuter.

"Et qu'est-ce qu'une lilloise peut bien aller faire à Montpelliers ?" demanda-t-il.
Elle avait espéré que la question n'arriverait pas. La tentation était forte de passer sous silence l'existence de Vincent. Mais à quoi cela pouvait-il rimer ? Elle décida d'être honnête.
"Je vais, hum..." Elle se racla la gorge avant de continuer. Peut être pour gagner du temps, peut être pour masquer sa gêne. Elle ne savait pas bien, en réalité... Elle poursuivit :
"Je vais passer une semaine de vacances avec mon... mon petit ami."
Disant cela, elle avait l'impression d'être une adolescente prise la main dans le sac. Et puis le terme "petit ami"... Elle se sentit immature en prononçant ces mots. Mais elle n'avait pas réussi à se résoudre à employer le terme de "compagnon". La connotation lui paraissait trop engagée.
Déjà, ils ne vivaient pas ensemble. Mais en plus de cela, elle n'était pas encore sûre d'elle.
Alexandre sembla ne pas réagir à cette annonce. En son for intérieur, la jeune femme se sentit blessée. Elle avait imaginé une déclaration enflammée dans les règles. Ou une colère, traduisant son attachement... Mais là... Il se contenta de répondre :
"Tu ne m'avais pas dit que tu avais un petit ami ! Tu dois être contente de le retrouver ! Tu connais bien Montpelliers ?"
Il avait dit cela sur le ton de la conversation la plus banale qui soit. Sans amertume, sans colère, sans ironie. Juste avec sympathie. Comme s'il était sincèrement heureux pour elle.
Elle ne voulait pas se l'avouer, mais elle s'en trouva affectée.
Devait-elle tenter le tout pour le tout et lui dire que sa relation était encore fragile ?
"Alors ?
- Oh pardon ! Désolée, j'étais en train de penser à autre chose...
- Autre qu'à ton petit ami ? Attention, tu vas le rendre jaloux ! Lui dit-il en souriant.
- Vincent, jaloux ?? Non, je ne crois pas..." Malgré elle, elle soupira.
Vincent était bien trop sûr de lui pour éprouver de la jalousie.

Alexandre accusa l'annonce de l'existence du petit ami comme il le put. Il tenta de garder le sourire, même si d'un coup, ses chances de séduire Judith se réduisaient sérieusement. L'air de rien, il la questionna, mais la jeune femme ne semblait pas vouloir se livrer. Il crut cependant déceler un certain ennui, une certaine lassitude chez elle... Il ne savait comment définir cette impression... Peut être qu'il avait un espoir, alors... Il n'était pas du genre à baisser les bras devant la difficulté, son parcours professionnel en témoignait. S'il désirait ardemment quelque chose, en général il faisait tout pour l'obtenir. Mais là, le résultat ne dépendait pas que de lui, loin de là... Il se promit pourtant d'essayer. Il sentait qu'entre Judith et lui, le contact était passé. Bien passé, même. Il ne lâcherait rien.

Il se concentra désormais sur son atterrissage. Judith, quant à elle, semblait perdue dans ses pensées.
"Nous arrivons. On va te faire un atterrissage aux petits oignons... On tente le kiss-landing, Jean-Pierre ?? Tout en douceur ?
- C'est parti ! On va ménager la demoiselle, qu'elle se retrouve entière pour sauter dans les bras de son petit ami !"
Judith sourit. Mais son coeur n'était pas à la fête. Le voyage tirait sur sa fin. Alexandre allait disparaître de sa vie. Tout juste la rentrerait-il dans ses contacts Facebook, pour un commentaire une fois de temps en temps sur ses publications. Mais au final, il sortirait de sa vie comme il y était entré... sans crier gare. Et c'était mieux comme ça, finalement. Mieux pour elle, mieux pour son fils. Mieux pour Vincent aussi.

L'atterrissage se fit en douceur. Un kiss-landing. Comme un baiser d'adieu...
Un fois l'avion posé, Alexandre fut pris par des conversations avec la tour de contrôle, des vérifications. Il ne lui adressa plus la parole. Les passagers n'étaient pas encore autorisés à descendre, mais on sentait l'effervescence de l'arrivée. Et puis les voyants rouges s'éteignirent. Chacun se leva de son siège. On entendait le bruit des bagages qu'on descend des porte-bagages, des ceintures qu'on ouvre, des conversations qui reprennent, des portables qu'on rallume.

Alexandre s'interrompit pour dire au revoir à Judith. Il l'embrassa chaleureusement sur les deux joues, lui promettant de donner des nouvelles très vite. La jeune femme le remercia. Grâce à lui, son voyage avait été infiniment plus agréable qu'elle ne pouvait l'envisager, et elle n'avait pas eu peur, une première pour elle ! Elle serra la main de Jean-Pierre, le remerciant également.
Elle fit un dernier signe de la main avant de quitter le cockpit.

Alexandre ne savait pas s'il l'avait imaginé ou pas, mais en lançant un dernier regard vers la jeune femme, il avait eu l'impression de voir ses yeux un peu trop briller.
Quoi qu'il en soit, il ne renoncerait pas avant même d'avoir essayé. Il se le promit.

Embarquement immédiatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant