SANS ADVERBE

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Aujourd'hui, je t'imagine comme ce jour-là. Je me posais des questions sur cette inquiétude qui s'étalait sur un visage très joli, mais fermé à plusieurs tours, qui laissait se dessiner le noir, le gris et le sombre dans toutes ces nuances et sur tous ces tons.

Comme les mains de ce corps qui avaient frappé à la mauvaise porte, je me sentis perdu dans un contexte qui m'engloutissait pour la toute première fois. Je ne savais pas comment élaborer vite un plan B puisque le plan A m'était vital et ne prévoyait pas de refuge, d'attente, de raccourcis ou de déviation.

J'avais observé comme le condamné égrenant en inspirations profondes, le décompte des jours qui rendent plus proches et plus réelles l'échéance et l'idée de la dernière bouffée d'oxygène, le défilement de ce temps morne ailleurs et surtout sans elle. Ce temps qui redevenait vie quand sur l'écran de mon téléphone s'affichait son sourire, porté par un « Monsieur » expulsé de sa voix jeune et ferme.

Et la voici, magicienne efficace capable de faire briller de la vraie lumière là où on ne soupçonnait pas une étincelle. Je me régalais dans l'admiration pieuse de ce visage parfait, qu'embellissait un sourire radieux.

Et quand elle choisissait de rester dans le noir complet, son spectre restait visible bien au-delà du petit rectangle du combiné téléphonique. Je la sentais vivre et bouger en moi. Je la portais comme on porte un précieux bijou. Comme on porte ce cœur moteur de toute vie.

Les instants passaient trop vite dans des rires, des fous rires et dans des retours sur des détails qui nous avaient fait rire.

Nous partagions un bonheur inégalé en pureté et en simplicité. Tout ceci redéfinissait l'amour longtemps conceptualisé comme un idéal circulant sur une voie parallèle au réel.

Je le vivais en temps réel et éveillé dans ma chair, dans mon sang et entre mes os avec cette fille qui incarnait au moins l'antithèse sinon l'opposé de ma propre personne.

Je devais choisir, pour me placer face à elle entre un rêve et une dernière chance.

Les rêves on les voit se défiler, dans un sens puis dans l'autre. Parfois comme reflets de nos demi-succès, souvent comme projections de nos propres ratés.

Mais les rêves authentiques ne se parent pas de réel et ne cessent d'être que rêves.

Alors que ma vie se débat entre son crépuscule et sa nuit, par quelle magie aurais-je pu oser croire en l'utopie d'une autre chance pour des instants plus que parfaits ? Chanceux ou rêveur peu importe, elle avait pris les commandes de ma vie. Elle en était devenue le point central.

Cette révélation qui pousse au recueillement et à la médiation.

Je la subissais agréablement. Régulatrice d'humeur et d'humour, je l'acceptais dans ce rôle et je lui laissais très volontiers cette fonction qui en retour me garantissait un bonheur à toute épreuve.

C'était souvent comme elle voulait, quand elle voudrait.

Je priorisais une attitude sans doute trop passive. J'avais peur de la troubler ou de l'embarrasser avec des exigences qui ne rentreraient pas dans sa programmation. Ainsi, il m'était impossible de lui demander ce qu'il y avait derrière ce visage aussi fermé.

Je l'avais certes questionné de façon légère et banale avec des expressions passe- partout du genre : tu vas bien, Trésor ? Tu as eu une bonne journée poupée ?

Elle répondait certes par l'affirmative mais elle ne savait pas feindre et ses réponses ne laissaient aucun doute sur l'imminence d'un souci qui la taraudait assez pour être ressenti par quelqu'un qui la considérait comme son essentiel.

À un moment où elle plongée dans le noir, réclamait avec une véhémence gentille, la remise en marche de l'option vidéo de mon téléphone, elle me surprit avec la question inattendue.

- Monsieur, est-ce que vous m'aimez ?

L'effet surprise devient désarçonnant et pervers quand on vous cogne par une question qui, malgré la plus sérieuse des évidences, exigeait la formulation d'une réponse prévisible positive.

Je ne répondis pas tout de suite à la question. La réponse était évidente. Et elle le savait. Je ne lui avais pas seulement répété combien je l'aimais, mais comment elle avait su transformer ma vie et combien je tenais à elle.

Et ceci je le lui répétais constamment. Tout était vrai. Je ne pouvais plus vivre sans elle.

Donc sa question n'était pas motivée par le besoin d'une réponse par un simple monosyllabe. Je partis par la tangente sur un pseudo vérité consternante et affligeante. Si elle me pose cette question, c'est juste parce que je n'avais pas su lui démontrer comme une preuve par neuf, tout l'aspect sincère et essentiel de mon amour pour elle. Ainsi je commençai par exhiber des arguments pour la convaincre que depuis cette faste soirée du sept mars, dans ma vie personne n'était plus important. Que je la ressentais m'accompagner, me rire et me parler tel un hologramme. J'ai sorti des comportements pour aller dans le même sens.

- Monsieur m'interrompit-elle, est-ce que vous m'aimez ?

La répétition de la question reformulée de façon identique me rappela que je n'y avais pas apporté d'éléments de la réponse attendue.

- Bien sûr que je vous aime. Je vous adore.

Des réponses qu'elle aurait sans doute acceptées. Mais je voulus plus comprendre que répondre. Je me replongeai dans des réflexions pour comprendre le refus manifeste de cette évidence. Peut-être elle ressentait mon amour pour elle. De façon très forte sans doute. Elle cherchait des corollaires qui constitueraient le fondement de cet amour asymétrique.

Elle m'avait toujours manifesté un désaccord militant à l'évocation de ce caractère atypique ou asymétrique que j'attribuais volontiers à ce que nous vivions.

Je fis une fois de plus fausse route avec mes arguties que j'utilisais pour lui démontrer qu'elle était une fille exceptionnelle et que je ne pouvais ne pas l'aimer... Cette fois, elle écourta mes explications en me posant à l'identique la même question.

- Monsieur est-ce que vous m'aimez ?

Elle n'allait certes pas épuiser le temps de toute une soirée à attendre une réponse à une question facile. Je devais réagir dans le sens attendu. Dans les contours nets de cette évidence.

- Je vous aime très sérieusement Demoiselle !

- Non, Monsieur. Je veux l'entendre sans adverbe.

- Je vous aime Demoiselle !

Enfin, je m'étais perdu sur un chemin devenu connu parce que plusieurs fois parcouru. Son visage ne s'illumina pas. Je l'ai ressenti malgré l'obscurité qui camouflait ses traits. Elle avait sommeil. Il me fallait, à moi aussi une certitude.

- Et moi Demoiselle, vous m'aimez ?

- Moi, je vous aime, Monsieur. 

RENCONTRE ET RATESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant