Un bon bouquin, ça commence par une phrase qui claque.
Genre《Aujourd'hui, maman est morte.》
Mais vous pouvez oublier vos rêves d'incipit percutant. Vous n'êtes pas dans un bon bouquin.
Alors après cet aveu d'incompétence, l'auteur tâchera de vous décrire de sa plume maladroite et dans toute sa fadeur cette ville grisâtre, que le soleil semble oublier, ornée de tags fort peu élégants, où les immeubles trop hauts sont tous dissemblables mais égaux en laideur, dans laquelle prend place cette histoire.
Elle est toujours vide, cette ville.
D'intérêt en tout cas.
On n'y croise pas de flots humains comme dans celles d'Asie, pas de bâtiments superbes comme dans les célèbres capitales du vieux continent, il n'y a pas la lumière et la misère enjouée de l'Afrique subsaharienne ou l'énergie de l'Amérique du Sud.
Ça pourrait être partout. Ça semble être nulle part.
Pourtant il y a tous les composants essentiels d'une ville : des transports en commun où l'on est serré, puant, avec l'impression de n'être même plus des hommes, si d'aventure cela veut encore dire quelque chose ; il y a des gens pressés, qui ne s'excusent même pas quand ils vous bousculent ; des immeubles dans lesquels plein de gens sérieux travaillent, généralement les mêmes que les gens pressés. Personne ne sait ce qu'ils font dans ces bureaux impersonnels où la conversation ne va jamais plus loin que les traditionnels "alors, ton week-end ?" dont personne n'écoute la réponse. Personne ne sait ce qu'ils y font, y compris eux-mêmes. Mais ils sont sûrs d'être importants. Nécessaires.
On y trouve aussi des brasseries trop chères, où les gens se plaignent d'attendre trop longtemps –peut-être qu'ils espèrent secrètement qu'un génie fera apparaître leur menu sitôt commandé ? mais surtout, pas de surgelé !– ; des bars pour les gens pas pressés, les retraités, qui regardent courir le monde ; des étudiants qui pensent pouvoir le changer, ce monde, à grand coups d'idéaux ; des ruelles sombres où la nuit, ils trouvent de quoi remplacer leurs idéaux qui ont déchu.Presque tous des gens paumés, à l'individualité effacée.
Perdus dans cette ville qui n'est pas à leur mesure, qui n'est à la mesure de personne.
Perdus dans la vie qui n'est que du mauvais prêt-à-porter, jamais à la bonne taille.Il n'y a que la nuit que la ville semble belle. Élégamment débraillée, avec un regard qui vous serre le cœur sans que vous ne sachiez si c'est de dévotion ou de frayeur.
Et si elle n'est pas parée d'étoiles, les réverbères s'accordent mieux à son teint.
Achilles est assis sur le trottoir, sous un réverbère justement. La fumée qu'il exhale parachève de polluer le ciel, et ses poumons. Mais elle est si belle, sa clope incandescente.
C'est si agréable, la brûlure sous son plexus.
Achilles, c'est notre héros.
Un héros incarne les valeurs de la société qui le crée.
C'est son idéal.Mais Achilles n'a pas d'idéal, encore moins de valeurs.
Il ne connaît pas l'héroïsme, juste l'héroïne.
Tout ce qu'il souhaite pour le monde, c'est qu'il brûle. Pas à cause d'un vrai parti-pris ou d'une volonté métaphysique. Uniquement parce que c'est beau, le feu.Et que de toute manière, rien d'autre que le feu n'en vaut la peine.
Achilles n'est pas un héros, pas dans ce sens là.
Peut-être dans le sens "moteur de l'action", protagoniste.
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Décadence
General Fiction- Des personnages qui tournent mal. Une histoire d'amour clichée entre celui qui se laisse sombrer et celui qui veut le sauver. Des ennemis bas-de-gamme. Du sang, de l'alcool, des cigarettes. C'est tout sauf original. - Je sais. - On dirait les fan...