7. Surnaturelle

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Comme surnaturel, le bruit du vent qui s'abat sur les vitres. Comme surnaturels, les phares des voitures qui s'écrasent sur le sol. Comme surnaturel, le bruit assourdissant de la voiture qui gémit, de la pédale qui grince, de mes mains qui tremblent au rythme du volant fébrile.

La lune me surplombe. La lune m'accapare. La lune m'enduit de sa présence et m'empêche de fuir, comme une geôle éternelle. La route m'emprisonne, de ses bras étanches et noirs.

Je la parcours, en trace la ligne. La fend. Ma détermination en griffe le contour, en signe l'allure. Mon regard perdu dans le fond de la nuit, mes gestes las et sourds à toute tentative de recul, je m'enfonce, malgré moi, par moi et contre moi au plus profond des lieux à venir. Ceux qui m'entourent ne m'intéressent pas. Comme emportée par une force inconnue, je suis déracinée, terrassée vers l'inconnu, qui m'attire et me hante toujours plus.

Une seule certitude m'anime : celle que je ne sais pas où je vais.

Je me sens comme l'héroïne d'un Road Movie. Perdue sur la route de mon âme, en quête de mon identité, de mon intégrité faite femme.

La route se construit et se déconstruit. Me construit et me détruit.

Les plots de lumière qui en bordent le tour sont comme des veilleurs immobiles, gardiens solitaires des voyageurs nocturnes. Comme des yeux sempiternellement rivés sur la mort qui nous guette, sur cette voie empruntée, par mégarde, et jamais restituée. Ils défilent, imprimant dans mes yeux l'impression que ce sont eux qui s'animent et se pressent vers un lieu inconnu. Comme volant attirés par des âmes en peine. Comme entraînés à notre suite, dans la chute qui précède notre passage, celle créée par notre présence fugace. Comme précipités pour combler ce vide qui nous poursuit, qui nous hante, qui nous détruit.

Et pourtant, si mobiles mais si calmes, figés dans leur lumière pâle. Figés dans leur forme blessante, comme des pieux qui usent de leurs pieds les étendues qui bordent la route gémissante. Seuls points fixes de la nuit, seuls repères, témoins de notre chute, témoins de notre fuite.

Je suis une héroïne d'un Road Movie. Surnaturelle. Flottante. Bercée par le roulis des bornes qui passent, matérielle la route qui se brise, qui se plie devant moi que je casse.

Elle s'ouvre, m'engloutit. Figure matricielle, emblème castratrice, elle me mange m'annihile. Je suis fébrile, et pourtant si sure de la perte que je m'occasionne.

Je suis désireuse de décadence, désireuse de vengeance. Une revanche. Sur moi-même, sur le monde, sur celui qui m'attend. Comme pour vaincre par ce mal ces maux qui me poursuivent.

Je ne sais quel direction je suis. Vengeresse ou passive. Offensive ou fébrile. Je ne fais que fuir en avant, en avant pour combattre, en avant pour m'éloigner dans cette déroute chaotique.

Le son grésillant de la radio me ramène peu à peu au monde qui m'entoure, qui m'englobe, qui me porte. J'arrive, bientôt. Il m'attend. J'aime me faire attendre. Je désire cet espoir et méprise la vaine possession. Qu'est-il bon alors de vouloir ?

Comme surnaturelle, je flotte, je glisse, je ne contrôle que mon esprit, qui cours, qui vagabonde.

Je m'éloigne des champs qui à perte de vue m'entouraient pour pénétrer peu à peu dans une forêt, pesante. Elle masque ma gardienne, éloigne mon inspiratrice, repousse mon espionne. Je gagne sui moi-même quelques instant de répit. Calme certitude d'être enfin oubliée. de m'omettre un instant, le temps d'une traversée. Lugubre.

Les couleurs manquantes au paysage nocturnes alimentent mon imagination débridée. Délurée. Je vois rouge. Rouge passion, rouge rancœur, rage de vivre.

Les chansons inactuelles qui crépitent me donnent l'impression d'être le bras d'un vieux tourne disque. Enchaîné au labeur. Contraint à sa tâche de boucler les sons.

Je me sens comme surnaturelle. Prête à toutes les folies, prête à me sentir tomber, prête à aimer l'avenir. Prête à m'arrêter, là, sur le bord de la route pour ensuite repartir. Prête à m'élancer, en chemin vers un autre, par-delà les conventions, mes conventions, mes morales.

Prête à me perdre, prêtre à me vendre pour le premier inconnu. Lieux ou personne, peu m'en importe le nom s'il est autre que Satan.

Fuite de ma geôle ou prisonnière de ma fuite ; la vitesse m'obsède, m'enivre, m'abolit. Je suis ce rêve qui se noue et s'enduit de sa déconstruction fragile. Etre et ne pas être tout en une même chose, tout en un même sens, comme l'avant et l'après, le pourquoi le comment, le rire, les larmes. Elles emportent à leur suite ce qu'il reste de mon visage. Transi, défait, trahi par lui-même. Partir pour mieux se refaire, partir, pour mieux s'oublier, je tourne en rond ;

Je me sens comme l'héroïne d'un Road Movie en sursis, surnaturelle.

La route semble aboutir au détour d'un virage, en épingle, serré. Mes cheveux coupés courts s'enfuient par la fenêtre, attirés par le large, tirés par la route, jusqu'à en épouser le fil. Mon bras tendu jusqu'en haut du volant adopte une pose lascive. Je décélère. J'arrive à point nommé, dans l'air d'un village fendu par mon passage. La ville, éteinte, suspendue au fil de la vie par ses veilleurs nocturnes, eux aussi qui me guettent me surveillent, s'engouffrent à ma suite, se perdent dans mon dos.

Je ne me retourne pas.

Trace une ligne.

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⏰ Last updated: Mar 23, 2015 ⏰

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