Après trois ans

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Novembre 2014

Dans le plus lointain de mes souvenirs, ce chemin de fer était déjà là.

Dans le plus récent de mes souvenirs, papa me frappait car il avait trop bu.

Dans aucun de mes souvenirs je n'ai suivi ce chemin de fer.

Dans aucun de mes souvenirs papa ne m'a parlé sans crier.

Dans l'un de mes souvenirs maman me disait de ne pas marcher sur les rails car c'était dangereux.

Dans l'un de mes souvenirs papa me disait que maman ne rentrerait plus jamais à la maison.

Ce jour là je m'en souviens, je suis monté dans ma chambre et j'ai observé le chemin de fer depuis ma fenêtre. Il était couvert de mousse et de ronces.

Ce jour là j'ai compris que maman m'avait mentit: le chemin de fer n'était pas dangereux, aucun train ne pouvait rouler dessus.

Papa s'est mit à boire, plus qu'avant.

Novembre 2017:

Ma routine avait toujours était banale, l'école, la maison et ma fenêtre. Papa dormait dans le salon, sur l'un des vieux canapés quand je suis rentré des cours, il ne m'a pas vu et grand bien m'en fasse c'était mieux ainsi. En haut des escaliers, je me suis d'abord rendu dans la salle de bain, petite et sale. Mes mains propres, je me suis dirigé vers ma chambre, cette dernière était au bout du minuscule couloir à gauche en partant du fond. Bien rangée et mal éclairée, pour cause, la végétation présente devant ma fenêtre empêchait les rayons du soleil de passer. Beaucoup s'en seraient plaint mais ma fenêtre avait quelque chose de particulier, elle donnait vue sur le chemin de fer. Lui, vieux et rouillé aux endroits encore visibles. Recouvert de vert et parfois de couleurs vives apportées par les rares fleurs, il trônait au milieu de deux rangées d'arbres pour la plus part morts. En revanche, en cette soirée de novembre, il était recouvert de neige. Quand 22 heures sonnait, les rails s'enfoncaient dans la nuit.

Mon sac à glissé de mon épaule et, est tombé sur le sol sans bruit. J'avais une envie étrange qui grandissait doucement en moi. J'ai ouvert mon sac et l'ai vidé sur mon petit bureau, les livres que je n'avais jamais réellement ouverts, se sont empilés les un sur les autres. J'ai rempli mon sac avec mes petites économies, 22,34€ pour être exact, ma bouteille d'eau bientôt vide et un sweat trop grand. C'était cette étrange sensation qui me motivait. Je voulais que quelque chose change ce soir, sans savoir pourquoi, je me suis assis à mon bureau, et, pour la première fois depuis des mois, j'ai fait mes devoirs.

À 21: 37 heure, je suis descendu dans la cuisine pour manger, ce que je ne fais jamais normalement. Dans la petite cuisine au mur blanc cassé, la vaisselle sale s'empilait dans l'évier. Le bruit incessant de la télévision résonnait dans ma tête. Si le bruit s'arrêtait, mon père était réveillé, si mon père était réveillé, rien ne serait différent ce soir. J'attrapais le reste d'un morceau de pain et une brique de jus d'orange. Un pas, la télé a grésillé, deux pas, la télé s'est éteinte, trois pas, le canapé a grincé, quatre pas, il s'est levé, je me suis immobilisé. Debout, les cheveux en bataille et gras, une barbe de trois jours et des yeux ensomeillés. Pour n'importe qui, cette vision ne représentait rien de bien méchant, pour moi, tout allait s'effondrer ce soir, je le savais.

Il était dans l'encadrement de la porte, bloquant ainsi ma seule sortie. J'ai lâchez le bout de pain et le jus d'orange, la brique a explosé contre le carrelage, le bruit a provoqué un sursaut de sa part. Son regard est passé de ensommeillé à terrifiant, empli de colère et de dégoût. Mon souffle était saccadé et mon coeur battait bien plus vite qu'il ne l'aurait dû. Mes yeux se sont brouillés et j'ai senti les larmes monter à une vitesse folle.

Je ne pouvais pas partir, son corps bloquer la porte, m'empêchant de quitter cette pièce. Si je ne faisais rien j'allais mourir, je le savais.

Mes jambes, elles, en ont décidé autrement. Je me suis senti partir en-avant, je l'ai bousculé et il est tombé. L'instinct de survie nous fait parfois faire des choses étranges.

A ce moment là, j'ai repris mes esprit: "Cours, cours plus vite et ne te laisse surtout pas attraper ou tu peux dire adieu à tous ce que tu connais."

Si j'atteignais ma chambre, je pourrais faire comme les rails, m'enfoncer dans la nuit.

En haut des escaliers, j'ai cru être hors de sa portée, mais je l'ai vu, me regardant comme un fou s'apprêtant à commettre un acte irréparable.

" Putain de gosse de merde, reviens ici immédiatement", a t-il hurlé en commençant à réduire la distance qui nous séparait.

"Non, non je suis tellement désolé, je t'en supplie laisse moi, ne me tue pas", ai-je sangloté en courant dans ma chambre.

La porte était fermée à clé, ma fenêtre était ouverte et mon sac, rempli de mes maigres économies, une bouteille d'eau bientôt vide et mon sweat trop grand, était posé en bandoulière sur mon épaule gauche.

J'ai regardé mon écran de téléphone, il indiquait 21h52, je l'ai fourré entre mon sweat et ma bouteille et me suis penché vers ma fenêtre. Les arbres recouverts de neige me regardaient, m'encourageant à le faire, à sauter.

Les coups contre la frêle porte en bois étaient de plus en plus violents, il arrivait au bout de sa patience, et moi, je ne voulais plus subir ses colères.

Alors j'ai regardé en bas, trois mètres, la neige et les buissons pour me recueillir à l'arrivée.

Alors je l'ai fait, j'ai sauté.

Comme je l'avais imaginé, les buissons enneigés m'ont recueilli sans douceur.

J'ai entendu un craquement; impossible de savoir s'il s'agissait de ma porte de chambre ou de ma cheville, de plus, aucune des deux propositions ne m'avantageait.

J'ai levé la tête, toujours dans les buissons, celle de mon père dépassait et ses yeux plein de colère m'observaient sans grand intérêt; bonne nouvelle, ce n'était pas ma cheville qui était cassée.

"Bon débarras !"

Sa tête à disparu. Je me suis relevé, j'ai attrapé mon sac et suis parti.

J'avais réussi, je m'étais libéré, je partais sans me retourner.

Pour la première fois depuis de années, je posais un pied sur le chemin de fer. Je fuyais tout ça, mes problèmes étaient restés dans cette chambre, ne pouvant sauter de cette fenêtre.

Ça y est, 22 heures sonnait.

Alors, j'ai fait comme les rails, je me suis enfoncé dans la nuit.

Le Chemin de Fer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant