Lentement je passais mon peigne fétiche dans mes cheveux aux couleurs du crépuscule. Je les toucha au fur et à mesure que je les démêlais progressivement. Ils sont incroyablement longs, très longs. Trop longs même. Si longs que parfois, je réussis à me les accrocher dans les arbres quand je descends de ceux-ci après avoir grimpé dans leurs grosses branches noueuses. Surtout quand il me reste des nœuds bien cachés et indétectables avec mes doigts. J'ai cependant beaucoup trop de fierté pour me décider à les couper, ce sont les plus beaux de tout le village, les filles en sont toutes jalouses. Il y a aussi une autre raison : je suis une fille. Et une fille, selon les critères d'aujourd'hui, qui ne me plaisent pas toujours, je dois dire, ça doit forcément être formée à être une fantastique mère au foyer.
C'est mal vu si je me les coupe à la garçonne, ce que je voudrais mais Maman ne veut pas, elle a trop de fierté, elle aussi. Au collège, l'institutrice nous avait parlé d'une héroïne très courageuse qui avait pris le risque de faire une coupe au bol pour qu'on la prenne pour un garçon. Il s'agissait de Jeanne d'Arc. La professeure m'avait encore plus passionnée pour son cours d'histoire que pour le cours d'arithmétique qui venait juste après. C'est mal vu aussi si je fais de longues études et c'est mal vu si je ne veux pas d'enfants. Pourtant, je réunis à moi seule ses trois critères. Un exploit ! Je passe encore une fois mes doigts dans la mèche normalement coiffée et constate que celle-ci est parfaitement parfaite. J'effectue de même pour le reste de mon crâne, m'arrachant quelques cheveux au passage qui finissent par tomber par terre ou sur ma coiffeuse.
Avec mes dizaines d'heures d'entraînement à trouver une coiffure convenable qui ne me gêne pas, je me décide à me faire une tresse épaisse qui retombe sur mon épaule pour ensuite finir sa route sur le début de ma cuisse. On dirait une princesse, comme dans les contes de fées qu'on nous oblige à lire devant toute la classe, le livre posé dans nos paumes de main, debout avec des pestes dans le fond qui ne peuvent s'empêcher de ricaner dès que je fais une faute de prononciation. Je suis certaine qu'elles sont juste jalouses.
Mais cela fait longtemps que j'ai cessé de croire aux mythes et aux légendes, ce n'est plus de mon âge et à ce qu'il paraît, selon ma sœur jumelle, je ne devrais pas repousser le jeune Charles qui passe son temps à vouloir être avec moi. Il me suit partout, toute la journée, s'assoie au même rang que moi lors de la messe hebdomadaire, n'hésite pas à jeter des cailloux à ma fenêtre le soir dans l'espoir que je vienne le rejoindre pour qu'on aille sur la colline regarder les étoiles. Mais je sais qu'il ne veut pas qu'aller simplement regarder les étoiles. Il a d'autres raisons qui, apparemment devrait me flatter. Il paraît que je lui plais. Pourtant, je suis toujours mal à l'aise quand il s'agit de lui parler.
Déjà, il pue du bec, ce qui n'arrange pas son cas, alors je ne peux que penser à ces filles au lycée qui se la racontent quand elles disent qu'intel ou intel les a embrassés de façon super romantique doivent avoir un pied à la place du nez. A chaque fois qu'une nouvelle histoire croustillante apparaît, toute un attroupement se forme autour d'elles et c'est parti, on ne peut plus les stopper dans leur lancée. J'ai arrêté de les écouter depuis belle lurette. Pendant ces temps de pause, j'en profite pour discuter avec moi-même sur le cours auquel je viens d'assister en espérant retenir toutes les formules et le vocabulaire qu'on me demande d'apprendre tous les jours.
J'adore aller au lycée, c'est un des rares endroits où je me sens à ma place. Peut-être parce que je n'ai pas d'amis mais je n'ai jamais cherché à m'en faire. Ça ne sert à rien, je partirais bientôt pour la ville, j'ai juste deux ans à attendre. Si j'obtiens mon baccalauréat, je serais la fierté de ma famille et ça encouragera sûrement ma sœur à essayer de le passer. Mais elle, son truc, c'est plutôt la couture, pas les mathématiques ou la littérature et c'est une bonne chose d'avoir une future couturière prometteuse dans sa famille, je ne risque pas de manquer de quoi que ce soit en vêtements. A chaque fois qu'elle a l'occasion de me confectionner une nouvelle chemise, elle s'applique à me broder une fleur différente, souvent en rapport avec la couleur de celle-ci au niveau du cœur. C'est ainsi que je collectionne des roses, des tournesols, des violettes, des bleuets, des pensées ou de simples fleurs de cerisier. Les fleurs, c'est surtout une référence à notre enfance que nous avons passé dans les champs ou la forêt à construire des cabanes, former un potager de plantes sauvages ou encore de confectionner des abris pour les hérissons. Elle devrait ouvrir sa propre boutique de vêtements mais elle devra demander à Papa si c'est possible. Et de toute façon, elle n'est pas majeure.

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La chemise aux fleurs
Romance4 ans, 7 mois et 12 jours. 1939, Suzanne vit tranquillement son adolescence chez ses parents avec sa sœur jumelle. Elle va au lycée, lit des libres, fait la cuisine, une vie parfaitement normale... Le 3 septembre, le journal quotidien de la radio é...