One-Shot

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          A chaque fois, les gens me demandent quand est-ce qu'on va se marier, si nous avons prévu de nous installer, de fonder une famille. C'est vrai qu'après plus de quatorze ans de vie commune, la plupart des personnes choisissent de se ranger et vivre paisiblement installés dans des quartiers résidentiels. Mais pour moi, avoir cette vie ne m'a jamais fait rêver.

Passer de ville en ville, jouer devant des petites foules d'inconnus, c'est de ça dont je rêve chaque jour. Mais bon, notre groupe n'a pas vraiment décollé depuis qu'on l'a lancé. On passe de bar en bar, on fait des concerts presque tous les soirs pour pas grand-chose. C'est dingue, ma musique résonne comme une dingue dans ma tête, mais apparemment elle n'est pas au goût de tout le monde. Et je crois que même toi tu commences à la trouver encombrante.

Tu sais, je comprends ce que tu ressens. Je sais que tu as envie de leurs dire que l'enfant est pour bientôt, qu'on a acheté une maison, qu'on a enfin un boulot fixe. Après tout, ça fait si longtemps que je te connais, que je te comprends. Et même cette société nous pousse petit à petit à nous ranger. La vie devient vraiment chère et c'est de plus en plus compliqué chaque jour. Mais moi, j'ai envie d'y croire. Même si c'est complètement égoïste, même si c'est mon rêve et pas le tien.

Et pour ça, j'aimerais te dire que je t'aime de tout mon cœur. Parce que depuis le début, tu m'as toujours suivi dans les villes, tu as toujours rigolé et tu as toujours fait de ton mieux pour que l'on puisse profiter au maximum. Je me souviens de ce fameux soir où tu avais disparu pendant des heures. Avec des potes, on t'avait cherché partout. Dans les campements, les magasins et même les maisons. Je crois bien que ce jour-là on avait retourné toute la ville à ta recherche, et on a continué, continué... à en oublier le concert qu'on devait donner. Et puis, tout d'un coup, tu es réapparue avec un appareil photo entre les mains. Putain, quitter la ville et faire 15 kilomètres à pied tout ça pour immortaliser une simple représentation dans un café. Mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête ce jour-là ? Il n'empêche que lorsque je t'ai revu, j'ai vraiment pleuré toutes les larmes de mon corps.

Et puis il y a eu hier soir, quand tu as oublié la guitare électrique. Merde, je n'aurai jamais dû t'engueuler comme ça. Je crois bien que j'ai déversé toute ma haine sur toi, tout ça pour une pauvre guitare. Et moi je me disais que c'était notre chance, que cette fois-ci ça allait changer. Avec autant de public, on ne pouvait que rêver. J'étais déjà en train de prévoir nos prochains plans de carrière. J'ai vraiment tout lâché sur toi : cette pression sociale, mon stress quotidien, ces insomnies qui me rongeaient de l'intérieur, cette rage face à ce public qui ne daigne nous donner un regard. Tu as été en quelque sorte mon punchingball ce soir-là, mais tu as continué de sourire et tu as assisté sans rien dire à notre prestation. C'était de loin le pire concert qu'on ait donné mais tu nous as quand même félicité. Et tu sais quoi ? Pendant cette catastrophe, je me suis souvenue que c'était moi qui avais oublié cette guitare.

Je crois qu'il est temps qu'on se pose et qu'on fonde une famille, non ? Toi aussi tu as le droit de vivre un rêve.

Je crois bien que c'était notre dernier concert.

Regret ou refugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant