Ses yeux s'ouvrirent doucement. Étendu sur son lit et blême d'épuisement, Altiel fixait d'un air las le plafond de sa cabine. Il endurait en silence le balancement monotone du bateau, non sans s'en lamenter intérieurement.
Tout tanguait tellement autour de lui qu'il en était tombé malade dès qu'il y avait posé les pieds. Il avait bien sûr aussitôt usé de drogues en tout genre pour faire passer cette irrépressible envie de vomir, mais en vain. Aucune ne fonctionnaient et elles le condamnaient ainsi à se sentir nauséeux jusqu'à la fin de son trajet. Il pesta en se recroquevillant un peu plus.
Le navire était parti plus tôt dans la matinée du port de Thercas , le plus grand de l'île de Sélevain. Les ferry d'innombrables compagnies de transports s'y affairaient nuits et jours en engloutissant nombre de passagers pour les redistribuer ensuite entre différentes îles. Le sien faisait une dizaine d'étages et était richement décoré: des tentures, des tableaux sublimes, du mobilier taillé dans le meilleur des bois aux ornements de métal et de pierre, le mettait plus en valeur que les autres. Tout y était terriblement précieux mais les passagers n'y faisaient pas attention. La clientèle des compagnies transinsulaires était composé de personnes très riches. Elles avaient largement de quoi s'acheter l'équivalent d'une dizaine de bateaux comme celui-ci. Mais en contrepartie cela en faisait des cibles de choix pour les pirates, et plus particulièrement lorsqu'elles se trouvaient sur des petits bateaux.
Il releva lentement la tête. De magnifiques fleurs aux couleurs ocres étaient savemment disposées dans un vase doré qui trônait sur la petite table de la cabine. Il les fixa longtemps avant d'être submergé par ses souvenirs d'enfance.
Altiel était né une vingtaine d'années de cela dans la campagne de Meldeiss, terres sylvestres de l'île de Sélevain. Il y avait grandi au côté de son père dans la gigantesque demeure familiale d'un oncle éloigné. Il s'en souvenait parfaitement tant ses souvenirs étaient contrastés.
Les jardins y étaient gigantesques et luxuriants, néanmoins impécables et domptés par un jardinier digne de ce nom. Enfant, il y passait des heures entières à observer tous les spécimens de végétaux qu'il lui était donnés de voir. Ils constituaient également une aire de jeu particulièrement appréciable. Il y avait également connu ses premiers émois et chagrins d'amour, ainsi que son initiation au culte de la déesse Edée. Des évènements aussi joyeux que douloureux.
L'initiation constituait une étape clé dans la vie d'un Edéen. Elle lui permettait d'obtenir au prix d'un processus éprouvant, une marque élaborée symbolisant sa connection avec la déesse pourpre. En général on effectuait ce rituel dès la puberté, rarement à l'âge adulte car il était dit qu'on s'en remettait plus facilement à cet âge. Altiel s'en souvenait trop bien pour ne pas se crisper d'effroi. C'était d'ailleurs sûrement pour cela qu'il ne s'y était pas rendu depuis bien longtemps.Quelqu'un frappa à sa porte. Il se redressa brusquement et fronça les sourcils. Il voyageait seul et n'avait pas symphatisé avec un quelconque autre voyageur. Pourquoi toquait-on à sa porte dans ce cas ? Il se décida tout de même d'aller ouvrir. Il sortit péniblement de son lit et s'approcha d'un pas méfiant de la petite porte en bois verni orné de dorures.
- Qui est-ce ? bougonna t-il au travers.
- La femme de chambre, lui répondit une petite voix nasillarde.
Il entrouvrit la porte et la considéra un instant. Il n'avait en aucun cas demandé à prendre son déjeuner dans sa chambre. On l'aurai remarqué. En plus de cela cet air faussement naïf qu'elle affichait lui faisait perdre tout intérêt.
- Je n'ai pas demandé à être servi dans ma cabine, lui lança t-il simplement.
Elle lui sourit de plus belle.
- C'est offert par la maison. Vous êtes sûrement l'un de nos client les plus respectables, rétorqua t-elle. Notre commandant me met à votre disposition.Il soupira. Au sein de la société, ceux que l'on qualifiait de "respectables" étaient évidemment les plus pansus. Ils dépensaient sans compter et s'offraient tous les plaisirs de la vie sans se soucier de quelque problème que ce soit, qu'il s'agisse de plaintes, d'amendes, ou même de sanctions extrêmes comme la pendaison. Toutes leurs actions, bonnes ou mauvaises, étaient forcément pardonnées et les petites gens s'affairaient à attirer leur attention. Toutefois très peu rentraient dans leurs bonnes grâces. Il n'était donc pas rare qu'une compagnie de voyage comme celle-ci prenne soin de ses clients de la sorte. Il détestait cela, et la voir ainsi devant lui l'agaçait grandement. Cela dit, sa couverture fonctionnait à merveille puisqu'on le prenait pour un véritable bourgeois voyageant par plaisir. Néanmoins après avoir lancé un œil furtif sur le contenu de son plateau, et après avoir repéré des remèdes contre le mal de l'air, il s'effaça pour la laisser entrer. Il était inutile de se priver de ce maigre luxe.
Sa cabine avait de toute manière besoin d'un peu d'ordre. La femme de chambre posa son plateau sur la petite table au fond de la pièce près de la fenêtre et se mit à ranger ses affaires. Profitant de ce répit Altiel avala prestement une des tisanes au goût infecte contre le mal de l'air et amorça une conversation:
- Savez-vous ce qu'il y a d'intéressant aujourd'hui ? Je ne sais pas trop quoi faire.
- Hum... Il y a bien cette représentation du célèbre magicien Ludas qui aura lieu ce soir.... Sinon en milieu d'après-midi vous pourrez assister au concerto de l'orchestre restreint de Breser. Il paraît qu'il joue fantastiquement bien, ajouta t-elle en tapotant son oreiller.
- Dans ce cas je pense que j'irai au concerto, cela m'a l'air assez intéressant pou-....
Il s'interrompit. Une chaîne argentée et scintillante coulait le long de son cou. Cet objet caractéristique n'était porté que par un peuple: les tormoriens, opposants naturels aux édéens. Constatant son silence et son regard braqué sur son pendentif, la femme se redressa avec un sourire aux lèvres. Elle s'approcha en le regardant fixement et ôta son tablier blanc.
- Eh non ! Je ne suis pas femme de chambre petit. Tu devrais te méfier un peu plus de qui entre dans cette pièce! s'esclaffa t-elle en se couvrant la bouche.
Altiel voulu se reculer mais ses jambes étaient trop engourdies pour qu'il puisse bouger. Il comprit aussitôt que sa tisane avait été trafiquée et il lança un regard noir à son interlocutrice. Il s'était fait avoir en beauté et il allait devoir trouver très vite un moyen de se sortir de cette situation plus qu'embarrassante.
- Ne t'inquiètes pas, lui susurra t-elle à l'oreille, j'ai pour ordre de te prendre sain et sauf. L'interrogatoire sera donc remis à plus tard... soupira t-elle avec amertume.
- Qui êtes-vous !? s'écria t-il. Vous êtes tormorienne, alors que faîtes-vous sur les terres d'Edée !? Vous êtes en train de violer l'article IV du traité de paix !
- Oh ! Mais les traité de paix ne sont-ils pas fait pour être rompu de la manière la plus ignoble qui soit ? ricana t-elle. Enfin peu importe.
Elle sortit le pendentif de son col et murmura quelques mots. Altiel écarquilla les yeux à la vue d'une épaisse couche de brume qui se mit à danser autour d'elle en la masquant progressivement. Lorsqu'elle se dissipa, une femme d'une vingtaine d'année se tenait devant lui avec un sourire narquois imprimé sur son visage.
- Je suis Grishael Parurta, agent des services de renseignements du royaume de Tormorie.
À la vue du regard interrogateur que lui lançait son captif, elle continua.
- Naturellement, je ne devrais pas te donner mon nom, mais les ordres sont clairs, je dois clairement énoncer mon identité pour la suite des opérations. J'avoue ne pas comprendre moi-même cette obligation, mais le Centre se trompe rarement.
- Pourquoi me kidnapper ? demanda calmement le jeune homme. Je ne suis d'aucune valeur pour vous.
Grishael se mit à rire d'une voix stridente.
- Aucune valeur !? Tu es l'héritier direct du comté de Meldeiss ! Ce n'est pas ce que j'appelle un otage sans valeur !
La mine d'Altiel s'assombrit. Comment diable les tormoriens pouvaient être au courant de son identité? Et surtout comment avaient-ils pu savoir pour sa mission?
Sa ravisseuse sortit une large seringue de sa petite sacoche.- Bon. Maintenant il est l'heure de faire une petite sieste, fit-elle en approchant l'aiguille de son cou.
Altiel n'eut même pas le loisir de se débattre qu'il sentait déjà le liquide inonder ses veines. Il lança un dernier regard à la fausse femme de chambre et s'écroula. Sa vision devint trouble peu à peu et sa conscience l'abandonna, lentement. Il eût tout de même le temps de voir une silhouette arriver doucement et porter un coup violent à la tête de la tormorienne. Dans son champ de vision qui rétrécissait inéluctablement, il pu voir un visage, celui, délicat, d'une jolie jeune femme ridé par l'inquiétude. De grands yeux noisettes le fixaient avec force, tandis que de longs cheveux bruns ondulaient sur ses épaules. Il le reconnu et murmura doucement:
- Lysa...

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Rife Traveler's Chronicles [EN PAUSE]
FantasyCadreint est un monde rongé par la haine. Depuis sa création, les peuples qui y vivent sont en conflit. Alors qu'ils traversaient une courte période de paix, les engrenages se remettent en marche et ébranlent à nouveau la grande machine de la destru...