Swallows

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"Tu ne peux pas rester ici.
-Si je peux et je le ferai.
-Tu ne comprends pas, ce n'est pas possible."
L'air était frais. Le ciel bleu, dénué de tout nuage, n'était qu'un mince voile azur couvrant l'horizon. Assise sur le plateau rocheux et abrupte, l'enfant rétorqua :
"Si c'est possible ! La preuve !"
Elle eut pour seule réponse un long soupir.
Le plateau était grand, poussiéreux mais spacieux. Le seul bruit perceptible étant la douce mélodie de la brise, soulevant la fine couche de poussière qui couvrait la surface de l'immense rocher.
"Écoute, nous avons tout notre temps, mais cela n'empêche pas qu'ils t'attendent tous. Et ton comportement est assez égoïste !
-C'est quoi un "Lego-iste" ?"
-... Laisse tomber."
Il était loin d'être habitué aux enfants et ne possédait pas une once de pédagogie. Il réalisa avec un certain dépit qu'il aurait sûrement eu plus de chance de se faire comprendre en jetant des boulettes de papier à une bête sauvage...
"Bon, ça suffit. Il est temps d'y aller petite.
-Je suis pas petite ! J'ai huit ans, je suis une grande !
-Une grande emmerdeuse oui !"
Il réalisa l'erreur qu'il venait de commettre quand elle lui tourna le dos et se mit en boule plus loin, sourcils froncés, visage écarlate et les yeux légèrement humides. Il n'aurait pas dû se laisser emporter, après tout cette situation était bien plus dure pour elle que pour lui. Peut-être que, des deux, c'était lui le "lego-iste"...
"Excuses moi, tu es une grande, c'est vrai et j'aurais dû te traiter comme tel. Est-ce que je peux faire quelque chose pour me faire pardonner ?"
Elle sécha ses yeux d'un revers de la manche, avant de se retourner vers lui, pensive.
"Que si tu joues avec moi..."
Il accepta la requête sans rechigner. Après tout, une partie de son travail consistait à lui offrir le confort, même si c'était rarement aussi longtemps.
Après quelque temps de jeu, à base de morpions dessinés du bout du doigt dans la poussière, de course d'un bout à l'autre de leur escarpement rocheux, et d'une tentative très vite abandonnée de cache-cache, ils finirent par s'allonger par terre, leurs yeux perdus dans un ciel trop bleu.
"Tu sais, tu vas devoir partir. J'évite le sujet depuis tout à l'heure, mais c'est le cas. Ils t'attendent, tu sais ?
-Je veux rester encore un peu...
-Sais-tu depuis combien de temps, nous sommes ici ?"
La fillette réfléchit puis demanda d'un ton hésitant :
"Une heure ?"
Il secoua la tête.
"15.
-15 minutes ?
-15 heures."
Elle commença à compter sur ses doigts puis écarquilla les yeux avec stupéfaction, incapable de croire en l'information qui venait de lui être donné.
"Je te l'ai dit, nous avons tout notre temps, mais ce n'est pas pour autant que nous devrions le prendre. Ils t'attendent et tu ne peux pas rester ici éternellement.
-Mais je peux pas, je les ai pas encore vu...
-Quoi donc ?"
La voix de l'enfant se fit tremblante, et des larmes coulèrent sur ses joues.
"Les hirondelles."
Pour lui, cette réponse était la pièce manquante. Cela expliquait sa présence ici. Elle cherchait les hirondelles. Et alors qu'elle failli les voir, elle l'avait rejoint sur le plateau.
"Avant que j'arrive je les avais entendues, mais depuis qu'on est là il y a rien dans le ciel, pas de nuage, pas de soleil...
-Et pas d'hirondelles.
-Oui..."
Elle sanglota, réalisant qu'elle ne verrait peut-être jamais rien dans ce ciel immobile.
Il s'accroupit et la serra dans ses bras.
"-Ne pleure plus ma grande. Je vais te montrer les hirondelles. Mais ensuite, tu devras partir. Est-ce que ça t'irai ?"
Elle hocha la tête, après tout, la seule raison de sa présence était les hirondelles.
"Regarde."
À ce mot, une boule se forma sur le dos de sa main, comme si quelque chose voulut s'en échapper. La forme s'assombrit, se fit plus détaillée et se cisela des traits fins et harmonieux. Puis une paire d'ailes s'ouvrit et l'hirondelle se détacha de sa main, pour aller se poser devant l'enfant émerveillé.
Son sourire était radieux et ses yeux avaient retrouvé une certaine étincelle.
"Plus ?
-Oui, s'il te plaît."
Son dos enfla et sembla éclater, alors que dans une bourrasque de vent et de lumière, une nuée d'hirondelles en sortit pour encercler la fillette. Leur piaillement rythmant ses rires.
"Tu es prête ?
-Oui ! Merci pour tout !" Elle ajouta légèrement gênée. "Tu vas me manquer...
-Tu vas me manquer aussi ma grande."
Toujours encerclés par les hirondelles, ils approchèrent du bord du plateau et regardèrent en contrebas. Un bain de lumière. Pas de sol, pas de roches ou de végétation, juste un océan de lumière blanche et réconfortante.
"Avant que tu n'y ailles, tu veux bien me promettre quelque chose ?
-Quoi ?
-Promet que peu importe ce qui t'attend après, tu feras plus attention fillette. Et regardes avant de traverser.
-Je te le promets. Tu veux bien me faire une promesse aussi ?
-Ne t'en fais pas, je te promets que les hirondelles resteront dans ce ciel."
Elle lui sourit, puis, accompagnée par la nuée, se laissa tomber du plateau et happer par la douceur de la lumière, les yeux clos et l'âme en paix.

Et dans une chambre d'hôpital, un père pleure son enfant, ayant expiré le peu de vie qui restait dans son corps brisé.

Tiny bits of my skullOù les histoires vivent. Découvrez maintenant