Par Nathan Bezeau
Aujourd'hui déjà, cela fait 92 jours que, envahi par ses dettes, dévoré par son addiction et lentement isolé par la folie, mon père a été enlevé par deux mafieux.
Je suis venu à cette caverne pour me cacher d'eux. Si large, si innocente, si envoutante, si subtile, son entré avale à leur insu quiconque a le malheur d'y mettre le pied. En moi règne un immense vide. En moi, règne un immense tourment. Pourquoi les redouter? Pourquoi les craindre? Pourquoi les fuir? Pourquoi se cacher? N'obtiennent-ils pas toujours ce qu'ils veulent? Chacun de mes pas deviennent plus lourd que le précédent. Je suis épuisé. Pourtant, je continue ma route sur ce chemin. Chemin qui, mètre après mètre se referme sur moi. Tout l'énergie de mon corps m'a quitté depuis bien longtemps. Pourtant, je continue ma route sur ce chemin exempt de lumière, me menant tout droit vers le fond du sombre gouffre dans lequel j'ai pénétré.
Aujourd'hui déjà, cela fait 61 jours, et je m'en remémore douloureusement, du jour où mon meilleur ami m'avoua être poursuivi, à son tour. Je lui ai chuchoté. Je lui ai parlé. Je lui ai crié. Je lui ai juré. Je lui ai supplié. Mais rien ne put l'apaiser. C'est donc seul et sans joie que celui-ci fût emporté par l'un des affreux mafieux.
Aujourd'hui, cela fait 31 jours déjà, et je m'en remémore non pas sans souffrances du jours où ce fut ma copine, mon amour, mon ange, ma raison de vivre qui tomba entre les mains de ces criminels. Forte comme personne, elle subissait les supplices du plus cruel d'entre eux. Après quelques semaines, elle était méconnaissable. Ses yeux avaient été vidé de leurs étoiles, son âme avait été dévorée par ses démons. Finalement, pris de pitié, le second mafieux finit par prendre sa vie.
Je ne peux supporter un tel fardeau. À mon tour, je suis poursuivi par ces deux monstres. C'est pourquoi je suis venu, seul, pour éviter d'entraîner un autre dans ma chute. Ni l'eau ruisselante du plafond, ni le froid, ni la faim n'a d'effets sur moi. J'en suis certain, je n'ai plus d'émotions pour me tourmenter. Pas de motivation, pas de tristesse, pas de joie. Je progresse pour progresser, j'avance pour avancer. Mais lorsque que j'arrive à un tournant où le tunnel se sépare en deux, un rocher me bloque mon chemin. Avec la dernière fraction d'énergie restante, profondément caché en moi, je l'escalade.
De l'autre côté m'attendent deux hommes. Le premier est cruel et sans pitié. Il torture et fait souffrir à la moindre occasion. Il me regarde droit dans les yeux et me dit : « Viens mon garçon, viens me rejoindre ». Il emploi alors un air grave et continu : « Je te ferai souffrir et torturerai. En revanche, si tu te prouve assez fort, tu pourras revoir ta sœur ». Il me pointe alors, avec un chaleureux sourire, l'issue du tunnel devant lequel il se tient. De l'autre côté, un homme froid, prend la parole à son tour : « N'écoute pas cet homme cruel et sans principe » dit-il calmement. « Rejoins-moi, jeune homme » recommence-il : « Rejoins-moi jeune homme si tu souhaites t'affranchir de ces terribles souffrances qui vivent en toi ». Il tend alors la main en guise d'invitation. Je tends donc la mienne, à mon tour, pour me libérer de mon tourment. Je tends ma main, à mon tour, vers cet homme si sensible, si compatissant si généreux. Je tends ma main, à mon tour, pour le rejoindre. Mais maintenant que je suis si près de mon but, je suis soudainement arrêté : Un son. Une sirène.
L'homme proposant souffrance et torture disparait alors pour devenir une voiture de police fonçant à vive allure dans ma direction. Celui qui, quelques secondes plus tôt, me tendait sa main disparait à son tour pour se transformer en un précipice au fond duquel une autoroute circule. Ma main, autrefois tendue vers l'homme, vers ma liberté, pointe vers les voitures fonçant à toute allure sous mes pieds. Je suis suspendue au-dessus du gouffre, séparé de ma libération par mes deux pieds et mon autre main. Le seul son présent est celui des froides rafales d'automne qui me caresse les cheveux. Je ne sens pas mes muscles épuisés et endolorie ou les plaies à peines refermées sur mes poignets. Non. Seule la sensation du vent chassant les larmes de mes joues rouges et gelées m'accompagne si près de la fin.
Illuminés par les phares rouges et bleu clignotant de leur voiture, un homme et une femme sortent rapidement du véhicule. La femme me parle. Je peux voir ses lèvres articuler des mots qui me sont incompréhensible alors que son collègue s'approche, lentement. Je regarde successivement le vide, puis l'homme, puis la femme, et puis le vide. Le vide est si beau, si attirant! Je suis alors confronté au même choix et que mon père et que mon meilleur ami et que mon amoureuse ont fait. Je veux tellement les rejoindre, en bas du pont. Je jette alors un dernier regard vers l'homme en uniforme. Seul ses paroles à lui me sont compréhensibles. Mais je doute. Je doute qu'elle soit sincère. Comme celle de mon père, me promettant de repentir de sa rechute. Comme celle de mon meilleur ami me promettant de ne jamais m'abandonner. Comme celle de mon amoureuse, me promettant de toujours rester ma raison de vivre. Je doute de sa parole, je doute qu'elle soit vrai. L'homme le sait lui, ce doute qui me hante. Ce doute qu'il comprend, ce doute qu'il a ressenti. Brisé par son désespoir, brisé par son envie sincère de m'apporter son aide, une larme glisse sur son visage. Cette connexion entre moi et lui, entre ma misère et celle caché loin dans son passé, me brise en mille morceaux. Puis, d'un cri faible et déchiré par le mal de vivre donc je suis la victime, je change d'avis et articule les mots : « à l'aide ». Aussitôt ces mots prononcés, le policier m'attrape la main et me ramène de l'autres côté de la clôture. Je m'effondre instantanément en un sanglot. Un sanglot laissant échapper tout le chagrin accumulé au cours des mois passés. Un sanglot exprimant tout le tourment causé et par le deuil, et par la souffrance, et par la colère qui noyaient mon esprit. Un sanglot qui me donne la force nécessaire pour vivre, un jour de plus, au côté du plus cruel des mafieux. Je vais vivre, un jour de plus, un jour à la fois.
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Le gouffre (révision)
Historia CortaAucune larme à pleurer, plus de peine à évacuer, je m'enfonce pas à pas dans ce gouffre sans fond. Mon meilleur texte à ce moment. J'ai revu de A à Z le texte original, toujours disponible. Vaux la peine d'être lu, même si tu as déjà lus le texte or...