Mars 2014. Solal

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Le col de mon blouson relevé, caché sous mon parapluie, j'avance à grandes enjambées sur le sol glissant. Je franchis les Halles, traverse la rue en courant et débouche sur la place du Grand Marché. À quelques mètres, posté sur son socle et dégoulinant, le Monstre* me menace de ses deux énormes mains aux doigts écarquillés. Je le dépasse sans un regard et tourne à droite, direction place Plumereau. Je manque de me casser la gueule et ralentis le pas. Je n'ai pas forcément envie de me retrouver à l'hosto à cause d'une averse à la con. Mars et ses giboulées : un bonheur !

Je longe les nombreux restaurants et bars tout en jetant des coups d'œil distraits par les fenêtres. Je ne me lasserai jamais de cet endroit. Le Vieux Tours, avec ses maisons à colombages et ses rues pavées, dégage un charme qui ne laisse personne indifférent. Quand il fait beau et que les terrasses sont pleines de monde, l'ambiance y est des plus agréables et chaleureuses.

Alors que je m'apprête à m'engager sur la place Plum', un visage familier attire mon attention au travers des vitres suintantes et tachetées de buée d'un café. Je m'immobilise et plisse les yeux afin de mieux le discerner. Des cheveux dorés humides, de longs cils, un nez droit et une mâchoire forte. Tristan est assis, seul, à une table et semble s'être pris un seau d'eau sur la tronche. J'ai soudain très envie d'une bière.

J'avance vers l'entrée de l'Épée Royale, pousse la porte et pénètre dans l'établissement tout en repliant mon parapluie. Ici, il fait chaud et sec, parfait pour passer un bon moment avec le blondinet. Le bar, en chêne et dont la façade est recouverte d'affiches, se situe face à moi. Derrière lui, des étagères croulent sous les nombreuses bouteilles d'alcool en tout genre, mais surtout de whisky. Je commande une pression et contourne le comptoir sur la gauche pour entrer, d'un pas décidé, dans une seconde salle. Ici, il n'y a pas de grandes tablées, mais de petites tables rondes, en bois brut, autour desquelles sont disposées des chaises à l'assise en cuir rouge. Je m'écroule sur l'une d'elles, devant ma proie qui sursaute.

Son regard passe par plusieurs émotions. D'abord la peur, puis la surprise et enfin... je ne saurais décrire ce que je lis dans ses yeux. Déception ? Lassitude ? Ennui ? Non, de l'incertitude.

— Salut ! déclaré-je, enjoué.

— Qu'est-ce que tu fous là ?

Ses prunelles noisette scrutent derrière moi. Il s'attend sans doute à ce que quelqu'un d'autre débarque.

— Cherche pas, je suis seul. On va pouvoir passer un moment tous les deux. Tu devrais te sentir privilégié.

— Pas vraiment, non.

Je le laisse ruminer sa joie d'être en ma compagnie et ôte mon blouson que j'accroche sur le dossier de ma chaise. Le barman m'apporte ma boisson qu'il dépose devant moi. Mes yeux se posent alors sur ce qui recouvre la table. Hormis ma bière et une tasse de café se trouve une multitude de photos. Plus exactement des portraits, certains en couleurs, d'autres en noir et blanc. Quand il s'aperçoit que je fixe les clichés, Tristan les regroupe d'un geste vif et retourne la pile afin de m'en cacher la vue.

— Hé ! râlé-je. Je regardais.

— Si c'est pour te foutre de ma gueule, marmonne-t-il. C'est pas la peine.

— Pourquoi je ferais ça ? Si j'ai envie de me moquer de toi, je ne vais pas critiquer ton travail. J'ai suffisamment à faire avec ta tête de chien mouillé.

Il lève les yeux au ciel et saisit sa tasse qu'il porte à ses lèvres. J'appuie mes coudes sur la table et enfouis mon menton dans mes mains. J'observe ses cils reposant sur le haut de ses joues, sa bouche, humide de sa boisson, embrassant la porcelaine blanche, et sa pomme d'Adam qui se soulève à chaque gorgée avalée.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 08, 2021 ⏰

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