Chapitre 1.

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Kale

Septembre 2018 - Lexington, Caroline du Sud

— Putain, mais c'est pas vrai, bouge ton cul, Kale ! gronde mon père qui m'attend au rez-de-chaussée.

— Ouais, j'arrive !

J'attrape mon sac à dos et porte l'une des bretelles sur mon épaule. Avant de quitter ma chambre, je jette un dernier coup d'œil au miroir qui habille la porte de mon armoire. Mon jean sombre et mon sweat noir large sont rehaussés par mes bottes de la même couleur. Bien que je sois un inconditionnel fan de rock, mon style vestimentaire est plus une manière de me fondre dans la masse qu'une réelle revendication de mes goûts musicaux. Avec mon mètre quatre-vingt-dix, passer inaperçu n'est pas chose aisée, et le total look black est ce que j'ai trouvé de plus efficace.

J'enfile mon bonnet et prends le temps de réajuster les cheveux sombres qui tombent devant mes yeux cernés. Je veille à positionner une mèche sur ma pommette droite, celle-ci portant encore les stigmates de ma soirée d'hier. Mon reflet me tord le bide. Une grimace me surprend lorsque je frôle mon épiderme. Le haut de ma joue est toujours rouge vif et me fait un mal de chien. Il faudra attendre quelques jours avant que la douleur et la couleur ne disparaissent pour de bon. D'abord le rouge, puis le violet, ensuite vient le bleu, pour virer au vert, au jaune, et qu'enfin la marque s'estompe.

C'est toujours cette même valse des couleurs qui danse inlassablement sur ma peau.

JE VAIS PERDRE PATIENCE, KALE !

— Ouais, je me dépêche, réponds-je.

J'enjambe les trois cartons qui jonchent encore le sol de ma chambre et m'empresse de descendre en dévalant deux par deux les marches de l'escalier. Ma mère m'attend, la main agrippée à la rambarde et me supplie du regard lorsque je passe devant elle. Je prends le temps de l'embrasser sur la joue avec tendresse avant de me diriger droit vers mon père qui m'attend dans l'entrée. J'enfonce mes mains dans mes poches et prends une profonde inspiration.

William Winter, mon géniteur, est un quinquagénaire aux tempes grisonnantes et aux traits durs. Ses iris d'acier me font aussitôt baisser les yeux lorsque j'arrive à sa hauteur. À en croire ses sourcils froncés et sa mâchoire qui ne cesse de se contracter, je sais qu'il commence à s'impatienter sérieusement.

— Et ne me fais pas honte cette fois-ci. Ici, personne ne nous connaît et c'est très bien comme ça. Tu m'as bien compris ? demande-t-il, les dents serrées.

Je hoche la tête sans répondre. Je connais la chanson. On est arrivés, mes parents et moi, à Lexington en Caroline du Sud il y a trois jours à peine. On a quitté Hopkinsville, dans l'état du Kentucky, sans que ce soit un réel désir de notre part après que les services sociaux ont commencé à s'intéresser d'un peu trop près à ce qui se passait à la maison.

Comme la fois précédente, et celle encore d'avant...

C'est notre huitième déménagement. Enfin, je crois. Huit depuis que je suis en âge de les compter en tout cas. Et c'est toujours la même rengaine : une ville choisie au peigne fin, une nouvelle baraque, un changement d'établissement scolaire... Ensuite, on met en place les sourires hypocrites face au voisinage, les faux semblants devant les profs... Puis arrivent les doutes de l'entourage, les interrogations des médecins après mes trop nombreuses fractures, les signalements à la protection de l'enfance... Puis la fuite. Un putain de cercle vicieux dans lequel on est pris à contre-courant. Aujourd'hui, on repart pour une nouvelle mise en scène, soigneusement orchestrée par mon père.

Mais combien de temps celle-ci va-t-elle tenir?

J'intègre ce matin Lexington High School pour effectuer mon année de terminale. La rentrée des autres élèves, c'était la semaine dernière, mais le transfert de dossier dans un délai si court a été compliqué à obtenir. Enfin, c'était compter sans le charisme légendaire de mon paternel. J'aurais dû passer mon permis de conduire il y a un an déjà, mais un bras dans le plâtre, suite à une soi-disant chute en skate, m'a empêché de me rendre à l'examen. C'est donc mon père qui m'accompagne à bord de sa berline noire flambant neuve. Mon géniteur aime faire bonne impression : costume trois-pièces de marque fait sur mesure, voiture de sport, le dos bien droit et le menton toujours levé. Il en rajoute des tonnes lorsqu'on arrive dans un nouveau bled. Il souhaite faire état de la famille aisée que nous ne sommes pas et de la belle relation père-fils que nous sommes censés entretenir.

🌩 {𝐒𝐨𝐮𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐚𝐭 𝐝'𝐞́𝐝𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧} 🌩️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant