PROLOGUE

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Kale

Janvier 2007 - Chicago, Illinois

Recroquevillé dans un coin de ma chambre, je me balance d'avant en arrière tout en me bouchant les oreilles. Papa est encore énervé après maman et je ne supporte pas d'entendre leurs cris. Ça arrive trop souvent. Tous les jours. J'ai couru jusqu'ici pour me cacher dès que ça a commencé, terrifié par les éclats de voix de papa. Mais par-dessus tout, parce que je déteste voir maman pleurer. Il y a comme quelque chose qui se brise à l'intérieur de moi lorsque ses yeux sont baignés de larmes.

Parce que je sais ce que ça veut dire...

Demain, elle aura trop mal pour marcher. Demain, elle portera une nouvelle fois ses lunettes de soleil dans la maison. Demain, elle ne m'emmènera pas à l'école. Pourtant, moi, j'aime bien aller à l'école. Depuis quelques jours, je me suis fait un copain, Danny, et j'adore jouer avec lui. Son papa à Danny est gentil, il sourit quand il vient le chercher le soir et le prend dans ses bras avant de le faire tourner dans les airs. Moi aussi, j'aimerais que mon papa me fasse tourner dans les airs. Mais il ne sait pas faire. Non, personne ne lui a appris. Lui, il ne sait que crier et dire des mots méchants qui nous font pleurer, maman et moi.

— Espèce de salope ! rugit mon père depuis le salon.

Le bruit des coups qui suivent et les gémissements de maman qui le supplie d'arrêter me terrorisent.

Moi aussi, je veux qu'il arrête!

Je me replie un peu plus sur moi-même et me mets à compter à voix haute pour couvrir leurs hurlements.

— Un, deux, trois, quatre...

Je me stoppe net en entendant les pas de papa qui se rapprochent de ma chambre. J'ai peur. Les battements de mon cœur s'accélèrent si fort que c'en est douloureux. Je sais qu'il va venir ici et qu'il va me disputer parce que je pleure. Il me répète toujours que les garçons, ça ne doit pas pleurer. Que sinon ça veut dire que je suis une fille. Je sèche mes joues d'un geste rapide avant que la porte ne s'ouvre, laissant apparaître un rai de lumière qui me fait plisser les yeux. D'ici, je ne peux voir que ses jambes qui s'avancent vers moi d'un pas lourd, me faisant trembler de tout mon être.

— Viens par ici, gamin, dit-il avec calme.

Malgré sa demande, je ne bouge pas. Je ne peux pas bouger. Je suis paralysé. Englué au parquet froid. Je ferme les paupières plus fort et me balance plus vite, les doigts toujours enfoncés dans les oreilles.

Je veux qu'il disparaisse!

Ses larges mains s'agrippent au col de mon pyjama et me soulèvent d'un seul coup, me faisant lâcher un hoquet de surprise. Plaqué contre la cloison, je me retrouve face à ses deux iris. Noirs. Les mêmes que ceux des monstres dans mes livres. Ses sourcils sont froncés, ses mâchoires crispées, et c'est avec difficulté que j'avale ma salive.

— VOUS ME POURRISSEZ LA VIE, VOUS LE SAVEZ, ÇA ?

Je sursaute face à sa tirade qu'il me crache au visage puis il me balance d'un geste brusque à l'autre bout de la pièce. Je m'écrase sur le sol. La chute me donne envie de crier, mais je pince les lèvres plus fort pour retenir mes sanglots et éviter qu'il ne me gronde encore plus. Allongé sur le dos, je l'entends s'avancer de nouveau vers moi, faisant craquer les lattes sur son passage. J'ouvre les yeux avec appréhension. Sa tête au-dessus de la mienne, il me scrute durant ce qu'il me paraît un temps interminable. Je déglutis. Il est grand.

Il est si grand...

Je le vois lever son poing en l'air et ma respiration se bloque. Puis il le lance violemment dans ma direction.

Et c'est le trou noir.

Le premier d'une longue, très longue liste.

🌩 {𝐒𝐨𝐮𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐚𝐭 𝐝'𝐞́𝐝𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧} 🌩️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant