Meneurs - Tome 1 - Un peuple à découvrir [EN RÉÉCRITURE - EN PAUSE]

* Chapitre 1 *

Du feu, des hurlements de terreur, des cris de rage, le galop effréné d'un cheval qui se dirigeait droit sur elle...

— Sauve-toi, vite !

Maria se réveilla en sursaut sur sa paillasse, trempée de sueur. Elle se concentra sur sa respiration, tentant de calmer son rythme cardiaque affolé. Quand enfin celui-ci reprit un rythme normal, elle resta allongée les yeux ouverts. Le sommeil l'avait fui et elle savait d'expérience qu'il ne reviendrait pas de sitôt. Cela faisait plusieurs nuits que ce cauchemar la tourmentait, tant de nuits qu'elle en avait perdu le compte. Soulevant légèrement la peau qui fermait sa fenêtre, la position de la lune et des étoiles la renseigna sur l'heure approximative. Il était minuit, son frère devait être de garde. Quitte à ne pas dormir, autant l'accompagner ! La jeune fille se leva donc sans bruit, pour ne pas réveiller la vieille Alma qui l'avait recueillie sept ans plus tôt. Elle enfila un chaud gilet de laine, les nuits restant fraîches dans les hauteurs où ils se trouvaient, même en été, puis sortit discrètement. Elle marcha tranquillement jusqu'au feu, et s'approcha sans un mot du jeune homme posté là. Celui-ci se contenta de se décaler légèrement sur la bûche, afin de lui laisser une place suffisante pour s'assoir à ses côtés. Elle s'installa donc et ils restèrent ainsi silencieux quelques temps, le regard plongé dans les flammes qui dansaient devant eux.

C'était devenue une habitude, depuis l'arrivée de Maria dans le clan des Voyageurs du Sud. C'était Tiago, le fils d'Alma, qui l'avait trouvée au bord de la rivière, évanouie, trempée et blessée. Le petit garçon qui avait alors dix ans à peine, avait couru prévenir les adultes du Clan, qui s'étaient empressés de venir secourir la fillette. Elle avait beaucoup gémi dans son long sommeil avant de se réveiller trois jours plus tard. Elle avait regardé ces étrangers avec de grands yeux, incapable de se souvenir de quoique ce soit, jusqu'à son nom qui lui échappait. La petite fille était restée muette pendant un mois, alors qu'Alma et Tiago en particulier prenaient soin d'elle. Le garçon prenait son rôle de grand frère très à cœur et était très attentif à cette petite sœur que la rivière lui avait apporté. Même si les adultes lui répétaient souvent au début qu'elle avait sûrement une famille qui la cherchait, il ne pouvait s'empêcher de s'attacher à cette petite effrayée. Il l'accompagnait partout, lui expliquait tout ce qu'il faisait et l'aidait dès qu'elle en avait le besoin. Petit à petit, celle qu'ils avaient baptisée Maria s'était ouverte à eux, sans jamais se souvenir de son passé, et personne n'était venu la réclamer. Elle suivait son frère de cœur partout où il allait, écoutait les enseignements d'Alma, la guérisseuse, et retenait scrupuleusement ce qu'elle lui apprenait sur les plantes et leurs vertus. Depuis qu'elle avait saigné pour la première fois, la mélancolie la gagnait de temps en temps, quand elle repensait à cette famille qui la croyait sans doute morte depuis tout ce temps et qui la pleurait. Cette famille dont elle ne parvenait pas à se rappeler. Et ce cauchemar récursif qui se faisait de plus en plus fréquent n'était pas pour la rasséréner. Elle se demandait si ce n'était pas des bribes de souvenirs qui lui revenaient ainsi. Après tout, les Voyageurs l'avaient retrouvée blessée et évanouie, il était fort probable qu'elle ait fui quelqu'un ou quelque chose. Mais que s'était-il donc passé ?

— Toi, tu ressasses encore. Ton cauchemar ?
— Oui, soupira la jeune fille. Encore. Toujours le même. Du feu, des hurlements, ce cri qui m'enjoint à me sauver... et si ma famille avait été attaquée ? Et s'ils étaient tous morts ? Ce qui expliquerait pourquoi personne n'est venu me chercher...

Devant l'agitation de sa sœur, Tiago se tourna vers elle et la prit par les épaules, la forçant à le regarder dans les yeux :

— Hey petite sœur, regarde-moi. Nous ne savons pas ce qu'il s'est passé. Nous n'avons entendu parlé d'aucune attaque dans ce coin lorsque nous y étions, mais c'est une région que nous explorons très rarement car elle ne fait pas vraiment partie de notre territoire, tu le sais. Donc nous ne connaissons presque personne là-bas. Et tu connais la réputation des Voyageurs ! Personne n'aurait osé venir nous interroger... Et puis, si ce cauchemar te montre réellement des souvenirs, alors peut-être que bientôt tout te reviendra de manière plus claire. Aie confiance ! Tu retrouveras la mémoire quand il le faudra.

Le jeune homme passa sa couverture autour des épaules de sa voisine et l'attira contre lui, la serrant dans ses bras. Un silence s'installa, bientôt rompu par la blondinette :

— Je sais tout cela, Tiago. Mais cela me trotte de plus en plus dans la tête, à en devenir une obsession.
— Voudrais-tu que nous retournions là où nous t'avons trouvée il y a sept ans pour enquêter ?
— Tu crois que nous pourrions ?, s'exclama Maria, les yeux brillants.
— Pourquoi pas ? Parlons-en demain au Papa et nous verrons ce qu'il nous répondra, d'accord ?

La jeune fille acquiesça puis posa sa tête sur l'épaule de son compagnon. Petit à petit, bercée par le feu et les bruits de la nuit, elle s'endormit. Tiago sourit doucement en la regardant, avant de se retourner vers le feu. Il écoutait les bruits de la nuit, veillant à ce qu'aucun intrus ne s'approcha et à ce que le feu ne s'éteignit pas. Il appréciait ces gardes solitaires qui lui permettait de réfléchir, tout autant qu'il aimait quand sa petite sœur le rejoignait. Au début, c'était lui qui allait rejoindre le Papa, le chef du clan, pour apprendre avec lui à protéger leur famille, et elle qui le suivait partout, terrorisée à l'idée d'être séparée de lui. Et au fur et à mesure qu'ils grandissaient et qu'elle s'apaisait, la fillette venait un peu plus tard, quand le mentor des Voyageurs du Sud laissait Tiago veiller seul. Alors à son tour, le jeune garçon lui apprenait à écouter la nuit. Ou alors, ils restaient simplement côte à côte et parfois, comme ce soir, la petite fille se rendormait à côté de son protecteur.

Un toussotement sortit Tiago de ses pensées : Sylvio, le fils du Papa et son successeur, était arrivé pour prendre la relève de la garde. De cinq ans plus âgé que Tiago, il se comportait comme un grand frère pour les deux enfants d'Alma. Il les aimait comme s'ils étaient du même sang, même si Maria ne l'approchait jamais. Telle une bête effrayée, elle restait attachée à Tiago et à Alma, et fuyait les autres membres du Clan. Voir ainsi le frère et la sœur, blottis l'un contre l'autre devant le feu, l'attendrissait fortement. Il aida Tiago à prendre Maria dans ses bras pour la recoucher dans son lit, avant de prendre sa place devant le foyer. Il suivit du regard les deux jeunes jusqu'à la tente d'Alma en souriant, avant de se retourner vers le feu et écouter à son tour ce que la nuit avait à lui confier.

Tiago souleva la couverture de sa sœur avant de la déposer sur la paillasse et la recouvrir. Il déposa un baiser sur son front avant de rejoindre sa couche et de s'y blottir. Il repensa à leur discussion. Demain, il lui faudrait aller voir le chef du Clan pour solliciter sa permission de retourner près des chutes de Vlaïka, territoire assez hostile aux Voyageurs. Il n'avait aucune idée de la réaction qu'il aurait. Les adultes n'avaient plus jamais reparlé de la découverte de Maria près du cours d'eau et elle était présentée comme sa sœur à tous ceux qui étaient de passage. Les gens s'étonnaient de sa blondeur alors qu'ils étaient tous bruns, mais Alma écartait la question d'un geste de la main. Il haussa les épaules : demain était un autre jour, il verrai bien assez tôt ce qu'il lui réservait.