Chapitre 3

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Cannelle

En arrivant dans la galerie, je suis la première. Je prends donc le temps d'allumer mes différentes guirlandes et d'installer un Casse-Noisette que j'ai ramené de chez moi, à côté de la caisse. Puis petit à petit, les autres employés arrivent.

À travers la vitre, je vois les lutins se mettre en place et je sais que d'une minute à l'autre, il sera là. Je ne sais pas pourquoi j'appréhende autant de le voir, mais disons que je suis quelque peu rancunière. Je suis sûre que je me monte la tête pour rien. Il n'y a aucune raison pour qu'il vienne me parler et encore moins pour qu'il se rappelle de moi. Même si je porte toujours des lunettes, elles ne sont plus rectangulaires, et mes quelques livres dans mon sac se sont transformés en une librairie.

Chassant mes années lycées de ma tête, une cliente entre et s'approche de moi.

— Bonjour Madame, est-ce que je peux vous aider ?

— Oui, bonjour. Je cherche une idée de cadeau pour ma fille de dix-sept ans. Elle lit beaucoup de romans.

Je lui demande de me suivre dans le rayon et lui propose différents types de romans, selon les thèmes ou l'âge. Je lui conseille également mes préférés et elle en choisit d'ailleurs un, ce qui me fait chaud au cœur. Finalement, elle repart avec quatre livres et je suis ravie de ma première vente de la journée.

Un livreur arrive quelques minutes plus tard avec quatre gros cartons. Il m'aide à les emmener jusqu'à la réserve avant de me laisser à mon rangement. Entre deux, quelques clients entrent. Certains seulement pour regarder, d'autres finissent par acheter. Quelques-uns profitent de notre offre du mois de décembre : un pain d'épice offert s'ils se posent pour lire.

De temps en temps, j'entends le rire forcé du Père Noël et je n'arrive pas à m'en détacher. Alors quand arrive l'heure de ma pause déjeuner, je m'installe de manière à pouvoir l'observer sans que lui-même me voit.

C'est au tour d'une petite-fille de cinq ans environ. Elle est habillée en robe rouge avec des guirlandes vertes enfilées dans ses tresses. Elle est vraiment adorable. Elle sautille dans tous les sens avant de se poser sur les genoux du Père Noël. Je vois d'ici son immense sourire et ça me réchauffe le cœur.

J'aimerais pouvoir retourner à cette période de ma vie, où j'étais impatiente de lister les nombreux cadeaux que j'espérais trouver au pied du sapin. Ma mère prendrait une photo de moi avec le Père Noël et l'encadrerait. Puis quand mon père rentrerait de son voyage, il verrait l'immense sourire de sa fille et tout serait parfait.

Soudain, la petite-fille descend et, alors qu'il l'aide à rejoindre son père avant d'installer le panneau signalant sa pause, Logan me voit. Instinctivement, et de manière totalement infantile, je me baisse et me cache derrière mon comptoir.

J'espère qu'il ne m'a pas vu. J'espère qu'il ne m'a pas vu. J'espère qu'il ne m'a pas vu.

Je me le répète comme un mantra.

Mais deux bonne minutes plus tard, alors que je n'ai pas bougé de ma cachette, quelqu'un entre d'un pas assuré et ses doigts pianote sur le bord en bois, à quelques centimètres de ma tête. Je sais que c'est lui, ça ne peut être que lui. Pourtant, je reste accroupie sans pouvoir bouger.

— C'est étrange, j'étais persuadé qu'il y avait quelqu'un, dit-il d'un ton sarcastique.

Je n'ai pas le choix, je dois me relever. Il ne va pas me gâcher l'un de mes jours préférés dans l'année. Tant pis, je suis prête à perdre ma dignité si cela me permet de me débarrasser de lui rapidement. Après tout, je l'ai cherché.

C'est donc ce que je fais, en affichant mon sourire le plus sincère.

— Bonjour, je peux vous aider ?

Je croise son regard et manque de perdre l'équilibre. Il est encore plus beau que dans mes souvenirs. Ses yeux sont aussi bleus que l'océan et j'aimerais y plonger et m'y noyer. Il a enlevé son bonnet, sa perruque et sa barbe, ce qui m'offre une vue d'ensemble éblouissante. Ses cheveux bruns sont plus longs qu'à l'époque mais moins sauvages. Ça me donne envie d'y glisser mes doigts. Son sourire en coin est déstabilisant, et je ne vous parle même pas de ses fossettes.

— Je suis Logan et je suis presque sûre que tu m'observais derrière ta vitre.

Merde, il m'a vu. Qu'est-ce que je peux bien lui dire ? Certainement pas la vérité, je risque de me ridiculiser encore plus. J'aurais dû me douter que c'était le genre d'homme à tout faire pour me gêner davantage. Mon sourire s'efface mais pas seulement car mes joues rougissent de honte. Il s'est présenté, cela veut dire qu'il ne se souvient pas de moi. Et là, tout de suite, mon cœur se tord dans ma poitrine.

— Désolée, je ne voulais pas paraître indiscrète, je réponds froidement.

— Ce n'est rien. C'est un compliment d'être admiré par une si jolie femme, même si elle porte un pull aussi... particulier.

Je n'y crois pas. Non mais, pour qui il se prend ? Il est très beau mon pull, je ne vois pas ce qu'il y a de mal avec. Il est vert sapin avec des rennes blancs, totalement adapté à la période. Je ne vois pas en quoi c'est un problème de porter des vêtements de Noël. Et puis, entre nous, ce n'est pas moi qui porte un costume de Père Noël avec un faux ventre.

— Si mon pull et moi te dérangeons, tu peux tout aussi bien sortir d'ici et aller manger ton sandwich dehors.

Et voilà, il a réussi à me gâcher la journée. Tout partait si bien, je n'étais même pas fatiguée de m'être couchée tard. Argh, je le déteste. Rien que de le voir toujours aussi fier suffit à hérisser chaque poils de mes bras. Alors je lui tourne le dos et m'enfuie dans le rayon le plus près.

Quand je reviens à l'entrée, il a disparu.


En rentrant chez moi ce soir, je suis ravie de m'enfermer dans mon cocon hivernal. De ma fenêtre, j'aperçois la douce Big Ben et je suis de nouveau heureuse. C'est comme si la simple présence de l'horloge arrivait à soulager mes moindres maux.

J'appelle Kate peu après. Nous avons cinq heures de décalage horaire ce qui ne nous facilite pas la vie. Quand elle est disponible, je travaille, et quand je le suis, soit elle dort, soit elle est en plein milieu de sa journée. Mais l'une comme l'autre, on est incapable de se passer de nos éternels debriefs de la journée.

— Hey !

— Wow Cannelle, tu as sorti le grand jeu cette année.

Je ne sais pas si elle parle de mon serre-tête rennes ou de la décoration derrière moi. Probablement un peu des deux. Il faut dire que j'ai en effet mis le paquet cette année. C'est un peu déprimant de se retrouver une fois de plus seule pour les fêtes de fin d'années, à bientôt vingt-cinq ans, d'autant plus quand votre meilleure amie vous abandonne aussi longtemps.

— Alors, raconte-moi tout, dis-je pour changer de sujet. Comment se passent ces vacances en amoureux ?

Elle se lance alors dans une tirade où elle m'explique tout ce qu'ils ont fait depuis notre dernier appel. Ils sont en ce moment dans la grande ville de Toronto et la neige tombe sans arrêt. Ils ont visité la fameuse tour CN avant de tomber nez-à-nez avec Ryan Reynolds. Elle m'envoie par message les nombreux selfies qu'elle a pris avec lui et je suis vraiment heureuse pour elle.

Quand Théo, son mari, arrive, elle vante alors ses bien faits et ils passent les cinq prochaines minutes à s'embrasser et se chuchoter des « je t'aime » mielleux. C'est le moment que je choisis pour raccrocher et les laisser tranquille.

— Je dois y aller, je suis crevée de ma journée. N'oublie pas de m'envoyer des photos !

— Bien sûr, pas de soucis. On te retarde dans ton sommeil désolée.

— Aucun problème, ça m'a fait plaisir de vous voir.

Elle fait un cœur avec ses mains puis elle m'envoie pleins de bisous à travers la caméra avec de raccrocher. Je me retrouve seule face à mon écran noir.

L'alchimie de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant