Cannelle
Je crois que je ne déteste plus Logan Ritchman et c'est un gros problème. Encore pire : j'apprécie sa compagnie. J'aime le voir à chacune de ses pauses, l'entendre rire et lui dire que je le déteste alors que je pense l'inverse. Et quand il m'a proposé de venir cuisiner avec lui, j'ai bien cru que mon cœur allait se détacher et dégringoler jusqu'au sol.
Déjà, quel genre d'homme cuisine pour les sans-abris ? Je croyais que c'était une légende urbaine, ou un cliché tout droit sorti d'un film romantique. Je ne savais pas que c'était réel. Qu'il pouvait bel et bien exister des personnes bien dans ce monde, avec un minimum d'humanité et d'altruisme.
Et puis, il ne m'a pas invité dans un bar pour boire un verre, chose qu'on me propose presque tout le temps. Il n'a pas voulu faire comme tout le monde. Cuisiner à deux est pour moi bien plus intime que de s'asseoir en tête à tête au milieu de Bernard et Didier qui viennent boire leur pinte journalière – aucune offense aux Bernard et Didier, bien sûr. C'est simplement beaucoup moins personnel.
Mon Dieu, cet homme va m'achever. Je peux le voir venir à des kilomètres mais je continue de jouer l'aveugle. Quand il m'arrachera le cœur et le piétinera, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même. Les miracles de Noël, le grand amour, ... tout ça n'est pas réel.
Je fais alors tomber un livre, ce qui me ramène sur Terre. Je devrais me concentrer sur mon rangement plutôt que sur Logan, mais depuis plusieurs jours, je n'arrive pas à faire autrement.
Je ne me suis jamais sentie aussi seule chez moi et même au travail, j'attends avec impatience le moment où il sera avec moi.
Quand la journée se termine enfin, je suis épuisée. Je rêve d'un bon bain chaud, de mon plus confortable jogging et d'une tasse de chocolat chaud devant un feuilleton de Noël. Mais avant cela, je dois encore prendre le bus pour rentrer.
J'adore l'hiver, vous le savez, mais je me passerais bien de la neige. Ça fait trois jours maintenant que ma voiture dort sagement chez le garagiste après mon câlin avec l'arbre, et j'avais presque oublié à quel point le bus est contraignant. Là, je pourrais être à mi-chemin entre le boulot et ma baignoire. Au lieu de ça, j'attends dans le froid, sous la neige, un bus qui devrait être arrivé mais qui n'est toujours pas là.
J'ai froid, mes chaussettes sont trempées et j'ai des frissons sur chaque centimètres de ma peau.
Soudain, on me frappe dans le dos si fort que je tombe la tête la première dans la neige. Il me faut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agit en réalité d'une boule de neige et que je viens de me ridiculiser davantage en embrassant le sol. Heureusement pour moi, le sol est blanc, et non pas gris et sale.
Je sors ma tête du froid et j'entends un rire que je connais trop bien. Je tourne quand même la tête vers la source du bruit, afin de vérifier, et je suis partagée par plein d'émotions lorsque je vois Logan hilare, les mains sur son ventre tant il se tord de rire. Je devrais le détester pour m'avoir fait ça – la journée a déjà été assez catastrophique – mais je n'y arrive pas, tout simplement. Je ne suis plus capable de rien quand il est là.
Son rire est mélodieux, et si me retrouver affalé dans la neige est l'unique moyen de l'entendre, alors je veux bien y rester aussi longtemps que possible. Il affiche un air d'enfant que je ne lui ai encore jamais vu et mon ventre frémit.
Je profite alors de sa distraction pour me relever discrètement et former une énorme boule froide dans mes mains. Sans lui laisser le temps de comprendre, je lance l'arme du crime de toute ma force sur lui et elle atterrit en plein sur son bras droit.
Surpris, il manque de trébucher. On se regarde une longue seconde avant d'exploser de rire ensemble. De la neige lui a éclaboussé les cheveux et il me faut beaucoup de contrôle pour ne pas la lui enlever. Je me lève, secoue la neige de mes vêtements et me tiens face à lui.
Si un jour on m'avait dit que je rirais ainsi avec Logan Ritchman, je ne vous aurais jamais cru.
— Tu ne vises pas si mal, me lance-t-il.
— N'ajoute pas « pour une fille », je t'en prie. Je vaux bien mieux que ça.
Ma remarque lui déclenche un nouveau sourire, éclatant, déstabilisant. Il se transforme en soleil au milieu du ciel gris. Il lève les mains et me réponds :
— Je n'oserais pas, même envers toi.
J'ignore les différents sens que ça pourrait avoir. Le bus arrive et je n'ai pas le temps d'y réfléchir, ou même de renchérir. Je donnerais tout pour qu'il ait cinq minutes de retard de plus, même s'il y a moins de deux minutes, je priais pour qu'il se dépêche. Mais j'ai tellement envie qu'il me dise ce qu'il pense ou qu'il me demande de lui rendre son pull avant de me voir partir, pour que je puisse lui promettre de le garder à jamais.
Mais il ne dit rien.
— J'espère que tu attraperas froid.
— Pourquoi ça ?
— Pour m'avoir propulsé dans la neige.
Je lui dis cette dernière phrase avec le même sourire – enfin je l'espère – qu'il m'a offert. Cela semble lui convenir car au moment où je monte dans le bus, il répond :
— À demain Cannelle.
Mes joues rougissent. Il ne peut pas me voir mais je sais qu'il le sait.
Je m'installe au fond du bus et sors mes écouteurs de ma poche. Je dois effacer son visage d'ange de ma tête et ignorer la notification de mon téléphone. Je sais déjà ce qu'elle contient ; l'adresse de Logan. Je n'ai pas voulu ouvrir le message tout à l'heure, mais maintenant elle me lance des regards.
J'aimerais aller voir Kate et tout lui raconter pour qu'elle m'analyse comme elle sait si bien le faire. Mais elle est rentrée depuis deux jours et elle essaye encore de se remettre du décalage horaire. Alors je me réfugie dans ma musique et regarde le paysage qui défile.
Après un bon bain chaud, j'appelle mon père puis me prépare à manger. Je ne tarde pas à me mettre au lit, je dois me lever tôt demain matin. Noël sera déjà là dans deux semaines et je n'ai toujours pas eu le temps d'acheter de cadeaux. J'irai demain matin avant de rejoindre Logan. Je sais déjà ce que je dois acheter, ce qui va me faciliter la tâche, mais avec la pression du mois de décembre, j'ai dû mal à gérer. Je travaille six jours sur sept, sans compter les gâteaux que je dois préparer chaque soir en rentrant du travail pour le lendemain.
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L'alchimie de Noël
RomanceDans la grande ville de Londres, Noël est une période magique. Les lumières décorent la ville, la neige tombe et tapisse le sol de blanc. Pour Cannelle, c'est la plus belle période de l'année. Rien ne peut entacher la joie immense qui la traverse à...