Chapitre 2

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Isabelle


En sursautant, je manque de faire tomber l'ordinateur de mes genoux. Une main vient de se poser sur mon épaule. Dans la précipitation, je retire mes écouteurs et me retourne vivement. Éric se tient derrière moi. Il bâille à s'en décrocher la mâchoire.

— T'es toujours en train de bosser sur ton projet ?

— J'ai fini de relire et je pense que c'est enfin terminé !

Le dossier de création de mon entreprise est rédigé. Le marché du prêt-à-porter féminin, en France, n'a plus de secret pour moi. J'ai établi mes offres, imaginé les catégories de vêtements que je pourrais proposer à mes futures clientes et défini un profil d'acheteuse. Le business plan est aussi bouclé.

— J'espère qu'une banque croira suffisamment à mon projet pour accepter de le financer.

— Je te l'ai déjà dit, Isa, ton concept est vraiment novateur, avec une portée sociale que tous les bobos des quartiers riches vont s'arracher !

Il escalade le canapé et vient s'affaler à côté de moi.

— Fanny est revenue du boulot ? Vinia est déjà debout ?

— Alors rapidement : merci Chouchou, non et non.

— Prems pour l'eau chaude ! Cette nuit, je serai le plus beau de toute la boîte ! Les hommes n'auront d'yeux que pour moi !

Telle une machine montée sur ressorts, Éric se lève d'un bond pour se ruer dans la salle de bain. Ce concentré d'énergie et de folie me fait rire. Il a cette capacité incroyable de détendre l'ambiance, quelle que soit la situation. Après tout ce travail abattu, c'est agréable.

J'ai une chance inouïe d'avoir recroisé mes amis d'enfance après six ans d'absence.


Comme tous les soirs depuis l'ouverture de ce nouveau club, je tente d'y entrer. Je viens chaque jour un peu plus tôt, mais la file d'attente ne désemplit pas. Si dans une heure je suis encore bloquée, j'irai à la recherche d'un bar.

Les nuits sont encore fraîches. Je dois trouver un nouvel homme qui me conduira chez lui ou dans une chambre d'hôtel. Un abri, une douche chaude et de l'argent pour créer ma maison de couture, c'est tout ce que je demande.

Une dispute, à quelques mètres de moi, attire mon attention.

— Oh Fanny ! Regarde cette foule. Ton boulot va nous coûter notre seule soirée de débauche de la semaine.

— Ne jette pas la faute sur mon job. Ça me saoule autant que toi. C'est aussi ma seule occasion pour lâcher prise. Toute la journée, je me plie en quatre pour mes patrons, garde le sourire devant celles qui veulent me voir dégager alors que je ne rêve que d'une chose : me perdre dans les bras du plus bel homme sur terre. Si tu commences à m'engueuler maintenant, moi je rentre. Je ne suis pas venue pour ça.

Ces voix me sont familières. Je me penche et sors de la file pour aller à leur rencontre.


Après ces retrouvailles émouvantes, nous ne nous sommes plus quittés. J'ai retrouvé ma famille de cœur. Depuis ce jour, ma vie a basculé du côté lumineux. Sitôt qu'ils m'ont vue, ils m'ont reconnue et invitée chez eux. J'ai eu du mal à leur annoncer le mode de vie que j'avais choisi ces dernières années. Sans aucun jugement, ils m'ont désigné la chambre qu'ils avaient aménagée pour moi, au cas où nos chemins se croiseraient à nouveau. Ce n'était qu'une promesse d'enfants, et pourtant, ils l'ont respectée. Le lendemain, je ramenais mes maigres possessions pour m'y installer.

Les démons d'Isa [Edité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant