Vous connaissez la chanson « les histoires d’amour finissent mal en général » ? Pour moi, c’est bien plus que ça. C’est mon fonds de commerce. Je suis avocate. De divorces. À Nice. Je fais ça depuis plus de dix ans maintenant et je dois dire que ça me réussit plutôt bien. J’ai acquis une réputation plus qu’enviable dans ce domaine et les clients se pressent à ma porte car ils savent que je ne lâche rien. Il faut, je crois, une certaine dose de cynisme pour y arriver. Pas juste prendre de la distance avec ses dossiers, ce que n’importe quel avocat doit faire. Il faut, j’en suis persuadée, un certain réalisme pour assimiler que plus d’un mariage sur deux finit en séparation. De savoir que les contes de fées, dans la moitié des cas, ça finit mal. Bien sûr, mes clients ne s’en doutent pas lorsqu’ils se passent la bague au doigt, tout affairés qu’ils sont aux préparatifs de leur cérémonie, à choisir leur robe, les petits fours, dresser la liste des invités en évitant d’asseoir tonton Albert avec le cousin Roger, hésitant entre trois décorations différentes pour les tables, répétant la cérémonie et, pour les plus hardis, s’écrivant des vœux dégoulinants d’amour et de bons sentiments. Ils planifient cette vie idéale dont ils rêvent et la projettent dans cette journée – qui se doit d’être la plus belle de leur vie, avant même que celle-ci n’ait commencé. Franchement, vous ne trouvez pas que ça ressemble à un pari stupide ? Moi j’appelle ça acheter un chat dans un sac. Et je vais vous dire un truc : lorsqu’ils débarquent dans mon bureau et me racontent les horreurs qu’ils se font, et bien croyez-moi, nous sommes loin, mais alors vraiment loin de cette vision idyllique, cristallisée dans ces photos de mariage qui se ressemblent toutes.
Je sais. Là, vous commencez à me trouver antipathique, pas vrai ? Ne vous en faites pas, j’ai l’habitude. Et c’est même grâce à ça que ma réputation s’est forgée. Mes clients sont d’ailleurs bien contents que j’adopte cette position réaliste et je ne compte plus ceux qui me disent que s’ils m’avaient rencontrée plus tôt, ils auraient évité bien des erreurs… Sauf que je ne suis pas conseillère prénuptiale, moi. Je ne vais quand même pas scier la branche sur laquelle je suis confortablement assise !
C’est juste que lorsqu’ils débarquent dans mon bureau, penauds ou en colère, parfois les deux, dès leurs premiers mots, j’ai l’impression qu’un arrêt sur image se produit, suivi d’un rembobinage express de leur vie de couple. Six mois ou cinquante ans de mariage, le film se joue à l’envers dans ma tête (bande-son en accéléré incluse), pour en revenir toujours à cette journée magique. Je suis la Pénélope de la tapisserie de leur mariage, sauf que je ne me contente pas de défaire le travail de la veille. Je tranche dans le vif, je règle les situations et je remets les bobines à zéro. Je ne suis cependant pas magicienne, faut pas pousser. Au désespoir de certains pères, je ne parviens pas à faire disparaitre les enfants, de même qu’au grand dam de certaines épouses, je ne parviens pas à empêcher leurs ex-maris d’en refaire d’autres à la première gamine venue. Ce qui est plutôt cocasse puisque la plupart du temps, ce sont les mêmes hommes qui se trouvent dans ces deux situations.
Vous l’avez compris, le mariage, je n’y crois pas vraiment. Je suis convaincue que les unions qui durent sont faites de travail, sacrifices, de concessions et souvent d’une bonne partie de résignation, d’abandon de ses rêves, de lâcheté, et peut-être, parfois, mais alors très rarement, d’amour.
Le truc, c’est que derrière ce mot magique, soi-disant sésame pour le bonheur absolu, on met tout et n’importe quoi. La vérité, c’est que ce qu’on appelle communément l’amour, c’est une sensation passagère, fugace, qui ne fait que trois petits tours avant de laisser sa place à l’horrible quotidien, l’affreuse routine. C’est sans doute là que gît la grande escroquerie. Savamment entretenue par une industrie florissante de films, littérature à l’eau de rose ou pas, le lobby des fleuristes, Saint-Valentin et les restaurateurs qui ne dressent que des tables pour deux convives, j’en passe et des meilleures. Tous ces gens qui s’accordent à faire rimer amour avec toujours, sans en expliquer les effets secondaires aux pauvres fous qui tombent dans le piège, victimes consentantes qu’ils sont de cette gigantesque machination !
Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas une théoricienne du complot et je vais même vous dire un truc : je crois (un tout petit peu) à l’amour. Mais je suis surtout persuadée que ça ne dure pas. C’est juste que pour chaque couple, la date de péremption est inconnue. Un peu comme celle de notre mort. On ne sait pas quand ça arrivera et c’est peut-être mieux ainsi. S’il n’y a pas grand-chose à faire contre la grande faucheuse, en revanche, on peut régler la situation des mariages qui prennent l’eau. Et ça, je vous l’ai dit, c’est ma spécialité. Et comme je ne suis pas totalement stupide, je laisse les clients qui veulent encore y croire dans ce flou artistique, qui me permettra – ce n’est qu’une question de temps – de les revoir assis dans mon bureau, pour leur prochain divorce. Il ne faut jamais négliger la récurrence et certains de mes clients sont des serial-mariés. Avouez que c’est pratique : je connais déjà tout d’eux !
J’ai le cynisme discret, c’est une question d’éthique commerciale. Un des rares confrères avec qui j’apprécie de croiser le fer a eu cette expression que j’ai trouvée fort à-propos. Il m’a un jour confié que nous étions des médecins légistes de l’amour. C’est bien trouvé. J’autopsie les relations et je livre la cause du décès de mon patient, avec une marge d’erreur inexistante. Adultère, ennui, incompatibilité d’humeur, rêves désaccordés, l’éventail est finalement restreint, mais les déclinaisons sont multiples. Aussi infinies que chaque couple est différent. C’est ce qui fait le sel de mon métier. La plupart du temps, je m’ennuie car j’appréhende très vite les choses et une fois l’autopsie pratiquée, je tourne en rond. Heureusement qu’il me reste alors les procédures, les négociations, ces affrontements dans lesquels j’excelle – je suis modeste, vous avez vu ? – allez, disons que je m’épanouis dans les conflits des autres.
Vous savez elle a peut-être raison la vie amoureuse est un conte de fée.
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La vie d'une avocate.
Ficção HistóricaBonsoir chers lecteurs et lectrices j'ai l'immense plaisir de vous annoncez mes nouvelles pensées alors dans cette œuvre je vous parle de la vie d'une avocate de divorce qui aime son job plus que ça vie amoureuse, dès le début elle était accro à son...