Magdalena

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Dans la cuisine, l'agitation règne. Il faut que tout soit prêt à temps. Découper les légumes, les mettre dans chaque plat, clac clac clac le bruit des couteaux sur les planches. Les bénévoles autour de la table discutent de la vie quotidienne, racontent des anecdotes le sourire aux lèvres, accélèrent la cadence. Et Olivier pendant ce temps là, circule entre les pièces, regarde si tout va bien, entame des débuts de conversations avec quelques personnes puis repart aussitôt.

Vers 19h00 pile, les gens commencent à rentrer. En bloc tout d'abord, puis par petits groupes. Ils se pressent contre la crypte, endroit de partage et de bonne humeur, pour prendre place autour d'une des nombreuses tables aux nappes colorées et mal assorties.

Il faut servir l'apéritif, est-ce qu'il y a assez de boissons, préparez les plateaux, je me charge du sirop, allez hop on emmène le tout.

Le service peut commencer.

En cuisine on relâche un peu la pression, les plats cuisent au four, les tables sont prêtes, les salades trônent sur les grandes tables, en attente d'être servies, les bénévoles se reposent un moment. Olivier prend le temps de discuter avec les personnes dans la crypte, puis retourne en cuisine voir si tout se passe toujours bien. Il est constamment en mouvement, un mouvement rapide mais ample qui semble répercuter son énergie sur celles des autres.

L'apéritif est débarrassé, les salades entrent dans la crypte. Chaque bénévole fait le service à table, emportant un saladier avec lui afin d'en distribuer le contenu aux personnes qui en veulent. Il y a des quantités à respecter, on ne peut servir ni trop ni trop peu. Quelques fois, le saladier est laissé sur la table, la plupart des personnes savent se partager le contenu du saladier de manière équitable, mais il faut veiller à ce que tout soit respecté. Quand il reste des places autour des tables (ce qui n'est pas courant) certains bénévoles s'installent avec les personnes venues ici pour avoir un repas chaud et entament une conversation avec elles. Cela crée une sorte de bulle, toutes les personnes autour de la table sont sur un pied d'égalité et discutent ensemble de la pluie et du beau temps.

C'est l'heure de débarrasser les tables, les plateaux mis dans un coin de la pièce rejoignent le centre de celle-ci et chaque bénévole reprend son saladier. S'il reste de la nourriture dedans, elle est redistribuée aux personnes qui en veulent, ils peuvent aussi demander à en emporter une part pour chez eux dans une petite boîte en plastique.

Une fois de retour dans la cuisine, les saladiers sont portés en dehors des plateaux en direction du coin vaisselle. Certains saladiers, ceux dont le contenu n'est toujours pas vide, sont repris par des bénévoles dans les fameuses boîtes en plastiques. Sinon, quelques assiettes sont disposées autour de la grande table et chacun se sert.

Vers les portes de la cuisine, quelques personnes attendent pour demander quel sera le plat, et le dessert alors.

Les plats en question sont sortis du four, il y aura surement des mines déconfites à l'idée de manger encore des quenelles pour la troisième fois consécutive, mais le fait de pouvoir manger de la viande leur fera oublier ce désarroi. Le service du plat demande plus de bénévoles, plus de plateaux et plus d'accélération. Il faut que tout le monde ait sa part de quenelles et sa part de viande, quand les quantités données par la banque alimentaire ne sont pas suffisantes on s'arrange comme on peut avec ce qui se trouve dans les congélateurs ou dans les sacs à emporter.

Tout en essayant de satisfaire au maximum toutes les personnes de la salle au niveau de ce qu'ils veulent ou non dans leurs assiettes, les bénévoles comptent chaque morceau de ce qu'ils donnent pour qu'il y ait assez de quoi manger pour les dernières tables servies. En général, il n'y a plus beaucoup de choix pour celles-ci, les gens râlent et ils ont raison. Les quantités ne sont pas toujours mirobolantes et équitables.

Débarrasser les plats, servir le dessert, faire la vaisselle, sécher, essuyer, ranger. Une mécanique bien réglée. Une fois le repas terminé, la crypte se transforme en salle de concert. Un bénévole au piano, un autre à la guitare puis aux percussions, quelqu'un entame d'une voix douce mais puissante un chant religieux. Olivier prête sa voix à ces chants avec dévotion, sa voix se mêle avec celles des autres chanteurs en créant une harmonie qui s'envole vers le haut de la crypte. On peut reprendre la chanson en cœur ou se contenter d'écouter, ressentir l'harmonie liant chacun des êtres de la salle, partager le bonheur ressenti en souriant. Un temps de prière poursuit les chants, des noms fusent accompagnés par la douce mélodie de la guitare.

Plus tard dans la soirée, les personnes rentrent chez elles ou du moins quittent la basilique, en emportant des paniers repas préparés par les bénévoles. Leurs discussions ne s'arrêtent pas en quittant cet endroit, elles continuent bien au-delà de la crypte. Dehors, dans une nuit glaciale mais éclairée, la vie reprend son cours.

Les bénévoles rangent la salle, attention aux nappes, non on ne les plie pas de cette façon, tu peux m'aider à porter la table, fais voir ta pile de chaises, je retourne en cuisine.

Quand tout est propre, bien rangé, les bénévoles s'en vont petit à petit retrouver leur vie quotidienne. Se préparer à aller travailler le lendemain, dire bonne nuit à ses enfants, se coucher et s'endormir. La vie poursuit son cours, les liens s'éloignent mais ne cassent pas.

Olivier est l'un des derniers à partir, il sait qu'il doit se lever tôt demain pour aller travailler mais il préfère s'assurer que chaque chose soit à sa place. Il sort de la basilique, se dirige vers sa voiture, conduit d'une traite jusqu'à chez lui. Il éclaire les lumières dès qu'il franchit la porte d'entrée, pose ses affaires sur une chaise à côté de la table, poursuit sa routine habituelle, fait des mots fléchés en écoutant la radio, en évitant le silence de la maison. Avant de s'endormir, il regarde des photos de sa femme, de ses filles, il pense à elles, qui auparavant comblaient ce silence. Ce sont elles qui lui donnent sa force, la raison de croire que sa vie n'est pas vaine et qu'il faut quoiqu'il arrive continuer d'avancer vers quelque chose. Les souvenirs de moments heureux fusent dans son esprit, et il s'endort comme ça, le sourire aux lèvres, la tête remplie d'amour.

La vie d'oiseauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant