Travail difficile.
Épuisant, mais bien heureusement terminé pour aujourd'hui. Elle soupire longuement. La jeune femme saisit son sac, sa veste, avant de fermer la porte de son bureau. Elle traverse ce couloir qu'elle n'a jamais apprécié, allant de son immonde odeur de renfermé aux papiers-peints flétris par le temps, dont la couleur laisse à désirer.
Au dehors, les ténèbres s'annoncent.
La soirée déjà bien prononcée.
La nuit tombante est froide, sombre, sournoise.
Elle s'avance dans les rues de cette ville qu'elle connaît si bien. Maintenant plus de six ans qu'elle y vit. Autant dire qu'elle pourrait s'y retrouver les yeux clos. Elle s'engage dans un labyrinthe de ruelles, jamais vraiment à l'aise dans celui-ci.
Et pour cause.
Des échos de pas se confondent avec les siens. Pourtant, elle ne voit personne.
Rien en vue.
Elle continue tout droit, suivant ces chemins de pavés faussement déserts.
Elle le sait, le sent.
L'entend, sous contrainte de le voir.
Cet homme dont elle ne connait ni le visage, ni le nom.
Mais qui ne la quitte plus un instant.
Ce bruit régulier, jusque là assez lointain, accélère précipitamment, se rapprochant dangereusement du sien. Bruit de chaussures frappant les pierres recouvrant le sol.
Terrifiant.
Les puissantes mains de l'angoisse se lovent autour de sa gorge, l'étouffant progressivement avec une poigne douceâtre. Lui donnant également le besoin irréfutable de fuir.
Le plus loin possible.
Cet être veut sa mort, elle le sent. Une pression meurtrière plane dans ces horizons, suffocante.
Ses foulées, petites et délicates, se font bien plus grandes, rapides, précipitées.
Les siennes gagnent encore du terrain, il doit être au coin de la rue précédente, maintenant.
Elle se met à courir, perdue dans les vagues de la peur.
Peur qui a envahit son corps, noyé son esprit, broyé son coeur. Il ne restait d'elle qu'un animal pris en chasse par un dangereux carnivore.
Oui, elle va se faire manger. Cette impression domine toutes les autres.
Un criminel assoiffé de sang la poursuivait, elle en est sûre.
La respiration courte, elle percute une poubelle en coin de rue, renversant toutes sortes de détritus au sol. Un cri lui échappe, mais sa course, elle, ne ralentit pas. Ses longs cheveux blonds flottent à sa suite. Elle n'ose regarder au dessus de son épaule, de crainte de voir le visage de la Mort.
Sa mort.
Il est désormais très proche. Une dizaine de mètres tout au plus.
L'angoisse monte d'un cran. Sa vitesse aussi. Elle vire brusquement à gauche. Puis à droite, traçant un improbable chemin dans ce sombre dédale. Sa voix s'échappe de sa gorge, elle sent le sol trembler sous ses pieds. Signe que son agresseur était sur ses talons. Elle hurle quand de robustes doigts saisissent son si beau chemisier blanc, la plaquant face aux pavés. Son cri se mue dans la nuit. La jeune femme frissonne d'effroi sous la sensation de froid métallique sur sa peau. Une lame entamant déjà sa fine et soyeuse gorge.
Terreur inconsidérable, surhumaine.
Douloureuse anxiété qui chasse toute trace d'oxygène de son organisme.
Elle s'est fait prendre, ça y est.
Elle va mourir, maintenant.
Sans avoir accompli quelque chose de bien dans sa malheureuse vie.
L'homme l'oblige à se retourner, la brutalisant plus que nécessaire. Ces orbes croisent ceux de sa proie, à sa merci. Une lueur de folie flottait dans leur couleur sombre, presque ébène.
Il la cherchait depuis si longtemps, l'a enfin pour lui.
L'Ange de la Mort a ressurgi sans prévenir.
Va encore prendre une vie.
Il dépose un doux murmure à l'oreille de la femme, empli de tendresse, de démence.
- Du calme, ma belle...
Elle crie encore, faisant vibrer les murs de cette ville devenue fantôme.
Mais quand la proie se débat, le prédateur s'embrase. Son excitation est telle que la femme peut la lire dans ses yeux de meurtrier. Elle ne contrôle plus son corps, sa voix continue de s'exprimer.
Appel sans réponse possible.
Seule la faucheuse peut l'entendre.
La partie tranchante du couteau s'enfonce dans ses chairs, lentement. Presque délicatement. Comme si cette femme était un morceau de premier choix qu'il devait tendrement serrer dans ses bras.
Tendrement lui découper la gorge, l'amener devant les portes de l'enfer.
Le sang coule, recouvre le sol déjà crasseux.
La victime bouge encore un peu, rend l'âme quelques instants plus tard. Les traits de son visage sont tirés de terreur.
La mort l'a prise, impitoyable.
Châtiment injustifié, infondé.
Il la regarde encore, la possède pleinement, la contemple avec égocentrisme.
Au bout de longues secondes, voire minutes, l'homme se relève, les mains teintées de pourpre, avant de disparaître dans la noirceur de la nuit, un sourire terriblement satisfait lui mangeant la face.
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L'Ange de la Mort
Short Story•La peur peut naître en une fraction de seconde, quand l'on se rend compte que l'on est pris au piège. •Plus aucune issue possible, seule la Mort peut nous délivrer de ce fardeau. •Amenée par L'Ange, elle surgit toujours quand l'on s'y attend le mo...