Petite section

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"Matthieu, les grands garçons ne pleurent pas!"

   L'injonction, répétée sur tous les tons depuis déjà quelques jours, résonnait dans la tête du petit garçon en short rouge. La main crispée sur celle, impatiente, de son père, il se laissait trainer dans un couloir à la peinture coquille d'œuf fatiguée mais décoré d'une multitude de dessins, découpages, collages et autres œuvres enfantines. L'odeur était nouvelle, mélange de javel, craie, colle et effluves provenant de la cantine et une multitude de pleurs, rires et cris d'enfants agressait le bambin effrayé.

– Matthieu, je te l'ai déjà dis, ne suce pas ton pouce! Tu es trop vieux pour ça et ça déforme les dents.

   Il se raccrocha convulsivement à la main solide et relâcha l'appendice de chair chaud qu'il avait fourré dans sa bouche afin de se réconforter. Une grande porte bleue entourée de porte-manteaux bariolés s'ouvrit en grinçant et malgré sa réticence, Matthieu fut tiré dans une salle lumineuse et bruyante, où s'agitait une multitude de petits. Il en resta bouche bée. Gardé à domicile par une nounou privée, il n'avait jamais été confronté à autant d'enfants en même temps. Même au parc où Nana l'emmenait régulièrement promener. Les larmes lui montèrent à nouveau aux yeux mais il les réprima, seuls de légers sanglots de peur venant lui déchirer la poitrine.

   Je veux Nana, songea-t-il, dans une incantation silencieuse qui lui fit crisper sa main minuscule dans celle qui le maintenait fermement.

– Bonjour ? Je suis M. Rouan, et voici Matthieu.

   Une très grande dame se retourna vers son papa et lui sourit. Elle avait des jambes immenses et beaucoup de cheveux frisés et rouges et son grand sourire impressionna fortement l'enfant. Il se réfugia derrière son père autant qu'il le pouvait.

– Bonjour et enchantée ! Je suis Mme Millet, la maitresse de petite section B, bienvenue!

   La grande dame se pencha et établit un contact visuel avec le petit garçon.

– Bonjour Matthieu, je suis Hélène, tu peux m'appeler par mon prénom ou m'appeler maitresse, d'accord ?

   Encouragé par une légère tape sur l'épaule il hocha la tête avec incertitude, pas tout à fait au clair avec ce qui était attendu de lui. La grande dame se redressa et parla à nouveau à son papa.

– Vous pouvez lui faire visiter la classe et rester avec lui jusqu'à neuf heures, si vous le souhaitez. Vous pouvez jouer un peu, ou lui lire un livre, puis les parents seront invités à nous laisser. Pour ce premier jour, vous pouvez le récupérer en fin de matinée, il n'est pas obligé de rester pour la sieste et l'après-midi.

   Matthieu sentit son papa se raidir à ses côtés.

– Je ne vais pas pouvoir rester longtemps, la maman de Matthieu n'a pas pu se libérer et j'ai une réunion importante. Je vais devoir y aller rapidement.

   Matthieu décrocha de la conversation que les deux adultes tenaient au dessus de sa tête pour s'intéresser un peu plus à son environnement. Le bruit autour de lui était chaotique mais il s'y habituait progressivement. La petite salle était remplie d'enfants, beaucoup pleurant, certains jouant dans le coin cuisine ou le coin poupées, la plupart agrippés à des peluches informes recouvertes de larmes et de morve. Certains s'accrochaient convulsivement à des parents désemparés, d'autres au contraire s'étaient lancés dans l'exploration de ce nouvel environnement.

   Matthieu entendit son nom et releva la tête, croisant les prunelles bleues glacées dont il avait hérité.

– J'y vais mon garçon. Nana viendra te récupérer ce soir à la sortie, d'accord ? Tu vas être un grand garçon courageux.

Les grands garçons pleurent parfois (Extrait)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant