Nostalgie

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           J'ai froid. J'ai l'impression que des amaryliss pourraient fleurir dans mon corps fané. J'essaye de me lever, mais je tombe sous mon poids. Est-ce que j'ai toujours été aussi lourd ? Un rire nerveux m'échappe. Tant bien que mal, je rampe jusqu'à mon lit, et m'y adosse. Il n'y a pas de matelas, les lattes me font mal au dos, mais ça ne me gène pas. J'ai envie de faire ça proprement, au moins je ne laisserai pas de traces. Une traînée visqueuse suit mes pas depuis le seuil de la porte, encore ouverte. Le vent d'hiver qui y entre me réchaufferai presque. Ici je suis calme. J'espère que personne ne me verra. Un téléphone sonne. Le mien. Il est dans ma veste, sur ma chaise. Je tends le bras, et me penche en avant pour l'attraper. La douleur s'intensifie. Je plonge ma main dans la poche, et fais tomber le siège. Dans un bruit assourdissant, il se cogne contre le sol, et le fracas semble venir me frapper. L'appareil glisse vers moi, et, grimaçant de douleur, je le prends. C'est ma mère. Je souris en voyant son numéro. Sur le mur, en face de moi, l'horloge m'observe calmement, comme à son habitude. L'aiguille vient taper le 8, caché dans l'ombre, comme s'il était trop timide pour se montrer. Décidément, elle est toujours aussi ponctuelle. C'est bientôt l'heure du diner. Est ce qu'elle parviendra toujours à manger dans la bonne humeur, comme elle le fait toujours ? J'ai l'habitude, ce n'est qu'un appel. Elle m'appelle tous les jours, pour prendre de mes nouvelles. Et, comme d'habitude, je pourrais, simplement, calmement, lui répondre, lui dire que tout va bien, qu'elle n'a pas à s'inquiéter. J'ai toujours été un bon acteur. Ça ne devrait pas être différent aujourd'hui. Ça ne devrait pas être différent, alors pourquoi est-ce que je me sens si nostalgique ? Déjà, petit, elle avait l'habitude de m'appeler. Elle m'appelait tout le temps. À vrai dire, c'était un peu de ma faute. Je ne devais pas être facile à vivre. Je ne me souviens pas du visage qu'elle avait quand j'étais enfant. Je ne me rappelle que de ses coups. Mon amour et les preuves du sien. Elle devait sûrement avoir un air énervé. Je ris ; un air énervé, sur un visage si angélique ? Ça me semble absurde. Mes côtes me font mal, mais je ris quand même. Je ris si fort que les larmes coulent. Je ris comme je n'ai jamais ris auparavant, je pleure comme jamais je n'aurais cru me voir pleurer. Bientôt, les larmes se mélangent à la flaque qui colore le sol, comme des gouttes de pluie qui tombe dans une mer rougeâtre. Des souvenirs ressurgissent alors, se bousculant dans ma tête. Je vois ma mère me frapper. Je vois ma mère me consoler, me préparer à manger. Je ne vois presque qu'elle. Après tout, c'est la seule personne qu'il me reste. Je vois aussi mon père, brièvement. À vrai dire, je ne l'ai presque jamais vu. Ce seul souvenir que j'ai de lui, c'est l'un de mes seuls trésors, que j'enterre ici même. Puis, je vois ma mère, recueillir, prendre dans ses mains, avec toute la tendresse dont une mère est capable, un jeune oiseau, qui s'est blessé dans le jardin. Elle le ramène dans la maison. Quelques jours plus tard, grâce à ses soins, il était remis. Je la revois ouvrir sa cage, lui offrant ce monde, si vaste et si beau. J'admire ce petit oiseau, qui, de plus en plus assurément, prend son envol. J'aurais aimé avoir des ailes moi aussi. Pouvoir m'envoler, partir loin, vers un monde meilleur, retourner à cette époque. Désolé maman, cette fois, je ne pourrai pas te répondre. Merci pour tout.

Recueil d'histoiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant