Le bruit du crayon sur le papier rompait le silence de la salle. Il était dérangeant, tel un cri, frénétique et agressif, pleurant de chaudes larmes d'encre, ces mots tenus si longtemps au silence. C'était ça le début de la thérapie. Un mot, suivi d'un autre, qui scellait la prise de confiance en soi et le premier pas vers la libération. Dans cette grande salle au plafond bas, aux murs couleur taupe, et avec le grand divan de cuir foncé, usé, installé dans un coin de la pièce, attirant toute l'attention, la confiance venait de s'instaurer. Elle ne s'était jamais sentie si bien, si seule et pourtant si surveillée. Jamais elle n'avait prononcé mots ici, et pourtant, recroquevillée, à la fois frêle et épanouie, installée en tailleur sur la banquette, les mots n'avaient plus besoin d'être audibles.
Près de trois semaines plus tôt - Salle de conférence d'une université
« ... La psychanalyse, quand elle s'intéresse au traumatisme, pense un dérapage de l'inconscient. C'est à dire que les événements saisissants - que nous avons précédemment étudiés - nourrissent l'inconscient de l'individu au point que sa force se démultiplie. Il se manifeste de manière plus frappante, et vient agir de manière évidente ou non sur le sujet. Les personnes ayant vécu des événements traumatiques sont face à deux cas de figure. Le premier, le plus commun, est le réveil du souvenir, par le rêve ou le délire éveillé. Les individus sont perpétuellement replongés dans leurs perceptions de l'événement, sans qu'ils en aient le contrôle... Ils revivent la scène toute entière, comme s'il s'agissait de la première fois. C'est le trouble de stress post-traumatique. »
Le docteur saisit la bouteille d'eau qui trônait près de ses notes de conférence, sur la table installée à l'occasion sur la grande estrade de l'amphithéâtre. Elle jetait un rapide coup d'œil à la salle qui se trouvait face à elle, comble et attentive, retranscrivant sur de petits carnets les mots qu'elle avançait, les recherches qu'ils avaient entamé depuis bientôt cinq ans.
- Le deuxième cas de figure, continua la voix masculine, qui s'avérait être le collègue de la jeune femme, a été moins étudié. C'est d'ailleurs ce qui occupe nos travaux actuels. (Il marqua une pose, sélectionna grâce à une télécommande la diapositive suivante qui s'afficha sur l'écran géant de la salle.) Ce que nous venons de vous expliquer était une réaction ouverte. Nous avons remarqué, au contraire que certains individus connaissent au contraire une censure de l'inconscient, un blocage... Ce blocage est souvent à l'origine de ce que l'on appelle les phobies, ou des traumas émotionnels, des amnésies.
- Nous avons donc essayé de développer des thérapies basées sur l'écriture, comme mode d'expression et de libération de l'inconscient. Nous pensons que l'écriture est plus facile à dévoiler que la parole, qu'elle est beaucoup moins subordonnée aux codes et attentes de la société. Il s'agit de l'écriture automatique, imprévue. Le principe étant d'inviter l'inconscient à prendre le dessus et à se raconter...
Une discussion passionnée, avec de nombreux interlocuteurs installés dans la salle, s'ensuivit. Andréa et Mark répondaient du mieux qu'ils le pouvaient à cet intérêt vif de l'audience. Quel genre de traumas ? Combien de temps dure une thérapie ? Quels effets ?
- Et bien, nous avons déjà réussi à calmer une phobie de l'eau et à saisir les sources d'une timidité excessive... Mais nous en sommes encore au stade de l'expérimentation. Nous attendons plus de résultats.
Et ça continuait. S'agit-il de manipuler le cerveau du patient ? Et l'éthique dans tout ça ? Est-ce que cela permet d'effacer des souvenirs ?
- Bonjour, dit un homme alors qu'il se voyait confier le microphone, il se leva avant de continuer : Êtes-vous compétents en matière d'amnésie ? Une personne qui m'est chère en est atteinte. (Il hésita un instant, choisissant les mots à employer.) Les médecins disent que ses progrès sont infimes. J'ai entendu parlé de vos travaux dans une salle d' Mais, je n'ai pas envie de la perdre... (Il se rassit. Une femme près de lui serra son avant-bras pour lui signifier sa présence et son soutien.)
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Writing Cure
AdventureLe ventre noué. La gorge serrée. Le verbe interdit... Cela fait des jours que le silence encombre sa vie, depuis cet instant fatidique - ce traumatisme... Ce jour où elle a gagné la vue, sa parole lui a été dérobée. Muette. Bâillonnée. Elle s'autoc...