Premier chapitre

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L'amour sourd de partout, mes histoires vraies

Premier chapitre

04 février. - Comme il faisait bon ce matin. Une journée pluvieuse et délectable comme je les aime. Oui, j'aime la pluie. J'aime l'odeur agréable, musquée et fraîche qu'elle exhale au contact avec le sol. Petite, je ne ratais jamais une occasion pour sauter dans les flaques d'eau avec mes bottes en caoutchouc pendant qu'il pleuvait à verse. Maintenant, je préfère plutôt rester au chaud sous la couette, écouter la musique ou regarder les gouttes d'eau sur les fenêtres.

05 février. - J'ai le cafard.
Depuis un certain temps, ma mère s'est mise en tête, l'idée de me chercher un mari. Oui ! Elle veut me trouver un conjoint. Comme dans les vieux temps, un mariage arrangé. Sauf que les mœurs ont changé, évolué. Beaucoup évolué. Mais d'après elle, je suis déjà suffisamment vieille, et que ma place est auprès d'un homme, mon homme, mon mari. Elle, à mon âge, ne cesse-t-elle de me rabattre les oreilles, elle était déjà mère de trois enfants. Elle en a eu six au total. Et je suis sa dernière-née, sa benjamine.

Et quand elle a une marotte, une idée dernière la tête, dans la tête, et par dessus tout, qu'elle croit juste et vraie, même le pape en personne ne pourrait la persuader du contraire. L'en dissuader. Ce que femme veut dit-on, le ciel et la terre conspirent, s'allient, conjuguent leurs efforts pour le lui accorder en offrande. Ma mère est cette femme du dicton, elle arrive toujours à ses fins. Imaginez ma chouette vie !

Je l'aime bien, ma mère. Je l'aime tout simplement. Cet être qui m'a porté huit mois et demi durant dans son sein, nourrit de son sein, couvé, cajolé, coucouné. Je l'aime tant. Je l'aime beaucoup. Je l'aime. Mais à des moments, parfois, assez souvent depuis un certain temps, depuis qu'elle s'est mise cette idée saugrenue dans la tête, je l'abhorre.

Je n'ai que vingt-trois ans, bon sang ! Vingt-trois ans. A cet âge, à fleur de l'âge, on court encore après ses rêves. On veut croquer la vie à pleines dents. On célèbre la jeunesse, on la cueille avant qu'elle ne se fane comme une fleur et que les vicissitudes du temps n'en altèrent cruellement et irrémédiablement la fraîcheur. On veut flirter. On veut vivre l'amour sans penser justement au joug du mariage. Sans penser à procréer pour perpétuer l'espèce. On veut juste aimer et se faire aimer. On veut juste vivre l'instant présent.

L'amour imposé, l'amour obligé, l'amour dicté, l'amour arrangé, est-ce de l'amour ? L'amour, le vrai, le bon, l'authentique a besoin de liberté, de passion consumant et enivrant, de magie, de la confusion des cœurs, d'extase de l'esprit. Un mariage sans amour, sans passion, sans flamme est comparable à une vie en prison. Elle n'en vaut vraiment pas la peine. A la fin, on finit cramé, paumé, esquinté. Le cœur s'atrophie puisqu'il n'a point aimé.

Aujourd'hui, avec une obstination singulière, elle est encore revenue à la charge : -Gracia, uko na tafuta kuni zekeya mu i nyumba ? Hein ? Ba dadako bote ba sha ku ba owa, weye ni nini ? Tshunga... Vraiment de quoi vous couper le chic. De quoi vous gâcher une journée qui s'annonçait pourtant formidable comme celle d'hier. Avec les copines, on avait prévu un brunch à Hasna. Loin du vacarme de la ville. Loin de tout. J'ai dû renoncé. Je n'étais plus vraiment d'humeur. Je l'abhorre.

06 février. - L'amie de maman, est passée à la maison accompagnée de son rejeton. Oh mon Dieu ! Mais qu'est-ce qu'il est chou ! Je crois que j'en pince déjà pour lui.

07 février. - Il est encore repassé à la maison aujourd'hui. Seul cette fois-ci. Hervé est son nom. Il est médecin. Il est vraiment beau comme un dieu. C'est avec lui que maman veut me caser, veut me voir convoler en justes noces. Et lui, l'arrangement entre nos deux mères pour nous marier ne semblent pas le déranger.
Demain, il m'invite à dîner.

08 février. - Je ne sais plus quoi penser de lui. Il est tellement beau, à ses côtés je perds mes moyens. Ses cheveux courts rasés, son diastème mirifique, ses yeux de biche, sa grande taille, ce Hervé a tout pour plaire. Pour me plaire. En plus d'être élégant, il est aussi galant, ce qui est de plus en plus rare chez les hommes. Et il me semble très intelligent.

Malheureusement, c'est également un fils à maman. Il n'a que ce mot dans la bouche. - Maman a dit. - Maman veut. -Maman, maman, maman... Pendant le rendez-vous, je me suis même amusé à compter le nombre de fois qu'il a prononcé le mot « Maman ». - À partir de 40, j'ai arrêté de compter. Il a des avis tranchés surtout. Il est borné, incapable de réfléchir par lui-même. Lorsqu'on s'éloigne de sa médecine, il fait preuve d'un manque d'ouverture d'esprit sidérant. Pour lui par exemple, la place de la femme est à la maison. Une femme ne peut pas exercer un métier. Et si jamais elle devait le faire, ce serait préalablement avec l'autorisation de son mari.
Je suis désolé, ça ne va pas marcher entre nous. Mais ! Doux Jésus ! Qu'est-ce qu'il est craquant.




L'amour sourd de partoutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant