Un monde imparfait

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Londres, 1857

De la berline, deux individus descendirent. Une femme et un garçon pas plus âgé de six ans, tous deux habillés élégamment. Nul doute, ils étaient issus de la haute noblesse. Leur blason était incrusté sur le véhicule, "Je crois en moi" en était la devise. Tout le monde le reconnaissait ; c'était celui de la famille Moriarty.

La femme et le garçon entrèrent dans le magasin du couturier. Ils restèrent au moins deux heures, à choisir le tissu dont leurs vêtements seraient formés et bien d'autres détails. Le temps passait terriblement lentement pour l'enfant qui, pour échapper à l'ennui, s'enfermait dans ses pensées. Il songeait au livre qu'il n'avait pas terminé, ou encore au gâteau qu'il allait manger au goûter. Malheureusement, la réalité le rattrapa bien trop rapidement. Il se rappela du cours d'histoire qu'il devait avoir en fin d'après-midi. Il n'aurait pas le loisir de jouir des plaisirs qu'il s'était imaginés. Il eut de nouveau un air maussade à cette pensée.

Enfin, ils sortirent du magasin. Ils s'apprêtaient à regagner la berline lorsqu'un cri au loin attira l'attention du jeune garçon. Il tourna la tête et aperçut un enfant à terre, recroquevillé, tentant de se protéger des coups que lui donnaient un homme avec sa canne. L'homme était vêtu d'un costume élégant, similaire à celui que portait son père. En revanche, l'enfant n'avait pas même un manteau sur le dos, il ne portait que des haillons.

— Comment as-tu osé, sale vermine ! hurlait l'homme tandis qu'il continuait de frapper l'enfant malgré ses cris. Tu regretteras d'avoir tenté de me voler !

Une foule avait commencé à se réunir autour de l'homme. Les yeux posés sur lui et l'enfant étaient des regards à la fois de dégoût et de compassion. Mais cette compassion n'était nullement dirigée vers l'enfant battu.

Des femmes couvraient leur visage de leur éventail. "Pauvre homme, se faire ainsi malmener par ce garnement... Vous avez raison, donnez-lui une bonne leçon !" pouvions-nous entendre de toutes parts.

Le jeune Moriarty demeura immobile. Cette scène lui glaçait le sang. Un enfant pas plus âgé que lui se faisait frapper par un homme qui pouvait tout aussi bien être son père. Mais personne ne réagissait face à ses hurlements de douleur et ses pleurs. Tout le monde se contentait de commenter. Comme si... comme si cette situation était une attraction habituelle dans les rues londoniennes.

Depuis combien de temps cela durait-il ? Il ne saurait le dire, mais chaque seconde était de trop.

Bien que la scène devenait insoutenable, le jeune Moriarty ne pouvait détourner son regard. Ce fut la voix de sa mère qui le fit se retourner.

— Albert, que faîtes-vous ? Montez, nous allons être en retard pour votre cours ! Nous ne pouvons faire attendre M. Ashford.

Il monta dans la berline, sans accorder un regard supplémentaire à la scène qui se poursuivait tragiquement. Ce n'était pas encore la colère, mais une totale incompréhension qui l'envahissait. Comment était-il possible de faire autant de mal à un enfant ?

— Mère, puis-je vous demander quelque chose ? finit-il par dire quelques minutes plus tard.

— Oui bien sûr, qu'y a-t-il ?

— Pourquoi... Pourquoi cet homme faisait-il du mal à cet enfant ?

— De quoi me parlez-vous ? demanda-t-elle en arquant un sourcil.

— L'homme dans la rue, tout à l'heure... Il... Il frappait un enfant mais...

— Ah, vraiment ? Je n'ai rien vu de tel. Allons, ne vous préoccupez pas pour si peu. Et cessez de faire une telle mine ! N'êtes-vous point content de votre nouvelle tenue ?

Albert ne répondit pas. Était-ce réellement ce qui comptait le plus à cet instant, sa nouvelle tenue ?! Quand il repensait aux haillons que portait ce garçon, il n'en était que plus mal à l'aise. Pourquoi avait-il le droit d'avoir de si beaux vêtements, quand d'autres enfants n'avaient rien pour se couvrir ?

Les hurlements de douleur résonnaient encore dans sa tête. Il était au bord des larmes, mais baissa les yeux pour ne pas être vu de sa mère. De toute manière, elle était plus occupée à admirer ses nouveaux rubans.

Tout au long du trajet, le jeune Moriarty ne prononça pas un mot. Il ne voulait pas parler, il ne le pouvait plus, ou il allait fondre en larmes. Il rentrait tranquillement chez lui, alors qu'un enfant était battu jusqu'au sang quelques rues plus loin.

Pourquoi le monde était-il si cruel ?

Recueil : Moriarty the Patriot 【 OS 】Où les histoires vivent. Découvrez maintenant